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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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tous et
qu’elle risquait de ne plus retrouver. L’allure à laquelle avançait le sénéchal
lui permettait de prendre son temps. Certes il y avait des écuyers et des dames
de parage collés le long des murs et qui tous avaient, dans la pénombre, le
regard dirigé vers l’enfant ; mais qui s’apercevait d’un geste aussi bref
et aussi naturel ?
    — Allons ! Présentons-nous
bien, dit Mahaut au bébé couronné qu’elle tenait au creux du bras. Faisons
honneur au royaume, et ne bavons point.
    Elle sortit son mouchoir de son
aumônière et essuya rapidement les petites lèvres mouillées. Bouville avait
tourné la tête ; mais le geste était déjà accompli, et Mahaut, dissimulant
le mouchoir au creux de sa main, feignit d’arranger le manteau de l’enfant.
    — Nous sommes prêts, dit-elle.
    Les portes de la salle s’écartèrent
et le silence se fit. Mais le sénéchal ne voyait pas la foule des visages
devant lui.
    — Annoncez, messire, annoncez,
dit Bouville.
    — Que dois-je annoncer ?
demanda Joinville.
    — Le roi, voyons, le roi !
    — Le roi… murmura Joinville.
C’est le cinquième que je vais servir, savez-vous !
    — Certes, certes, mais
annoncez, répéta Bouville nerveux.
    Mahaut, derrière eux, essuyait une
seconde fois, pour plus de sûreté, la bouche du bébé.
    Le sire de Joinville, s’étant
éclairci la gorge par quelques raclements, se décida enfin à prononcer d’une
voix grave, assez nette :
    — Mes sires, voyez le
roi ! Voyez le roi, mes sires !
    — Vive le roi !
répondirent les barons, délivrant le cri qu’ils retenaient depuis l’enterrement
du Hutin.
    Mahaut alla droit au régent et aux
membres de la famille royale rassemblés autour de lui.
    — Mais il est gaillard… il est
rose… il est gras, disaient les barons au passage.
    — Que nous chantait-on qu’il
était chétif et ne pouvait point vivre ? murmura Charles de Valois à son
fils Philippe.
    — Allons ! La race de
France est toujours bien vaillante, dit Charles de La Marche pour imiter son oncle.
    L’enfant du Lombard se comportait
bien, trop bien même au gré de Mahaut. « Ne pourrait-il pas crier, se
tordre un peu ? » pensait-elle. Et sournoisement, elle cherchait à le
pincer au travers du manteau. Mais les langes étaient épais, et l’enfant ne faisait
entendre qu’un petit gargouillement assez joyeux. Le spectacle offert à ses
yeux bleus fraîchement ouverts semblait lui plaire. « Le petit
gueux ! Il va chanter, dans une minute. Il chantera moins cette nuit… À
moins que la poudre de Béatrice ne soit éventée…»
    Des cris s’élevèrent dans le fond de
la salle :
    — Nous ne le voyons
point ; nous le voulons admirer !
    — Tenez, Philippe, dit Mahaut à
son gendre en lui tendant le bébé ; vous avez le bras plus long que le
mien, montrez le roi à ses vassaux.
    Le régent prit le petit Jean par le
torse, l’éleva au-dessus de sa tête pour que chacun pût à loisir le contempler.
Soudain Philippe sentit couler sur ses mains un liquide gluant et chaud.
L’enfant, saisi de hoquets, vomissait le lait qu’il avait sucé la demi-heure
d’avant, mais un lait devenu verdâtre et mêlé de bile ; son visage se
colora de la même manière, puis très vite vira à une teinte foncée,
indéfinissable, inquiétante, tandis qu’il tordait le cou en arrière.
    Une vaste exclamation d’angoisse et
de désappointement s’éleva de la foule des barons.
    — Seigneur, Seigneur, s’écria
Mahaut, les convulsions le ressaisissent !
    — Reprenez-le, dit vivement
Philippe en lui remettant l’enfant dans les bras comme un paquet dangereux.
    — Je le savais ! lança une
voix.
    C’était Bouville. Il était pourpre,
et son regard allait avec colère de la comtesse au régent.
    — Oui, vous aviez raison,
Bouville, dit ce dernier ; il était trop tôt pour présenter cet enfant
malade.
    — Je le savais… répéta
Bouville.
    Mais sa femme le tira vivement par
la manche pour lui éviter une irréparable sottise. Leurs yeux se rencontrèrent
et Bouville se calma : « Qu’allais-je faire ? Je suis fou,
pensa-t-il. Nous avons le vrai. »
    Mais s’il avait tout agencé pour
détourner le crime sur une autre tête, il n’avait rien prévu pour le cas où le
crime serait vraiment commis.
    Mahaut, elle aussi, était prise de
vitesse. Elle n’attendait pas du poison une action à ce point immédiate. Elle
prononçait des paroles qui se voulaient

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