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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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il s’est essuyé les mains, après que
l’enfant lui eut craché dessus, il a jeté la toile dans le feu ; je l’ai
vu…
    Leur plus grave souci, désormais,
concernait leur propre sécurité.
    — La toilette de
l’enfant ? reprit Bouville.
    — Je l’ai faite, avec une de
mes femmes, pendant que tu reconduisais le régent, répondit madame de Bouville.
Et maintenant quatre écuyers le veillent. Il n’y a rien à redouter de ce
côté-là.
    — Et la reine ?
    — Chacun autour d’elle a
l’ordre de se taire, pour ne point aggraver son mal. D’ailleurs, elle semble
hors d’état de comprendre. Et j’ai dit aux ventrières qu’elles ne s’écartent
pas de sa couche.
    Peu après, le chambellan Guillaume
de Seriz arriva de Paris pour apprendre à Bouville que le régent venait de se
faire reconnaître roi par ses oncles, son frère, et les pairs présents. Le
conseil avait été bref.
    — Pour les funérailles de son
neveu, dit le chambellan, notre Sire Philippe a décidé qu’elles se feraient au
plus tôt, afin de ne pas affliger trop longuement le peuple par ce nouveau
trépas. Il n’y aura point d’exposition. Comme nous sommes vendredi, et qu’on ne
peut inhumer un dimanche, c’est donc demain que le corps sera conduit à
Saint-Denis : L’embaumeur est déjà en route. Je vous laisse, messire, car
le roi m’a commandé d’être promptement de retour.
    Bouville le laissa partir sans
ajouter un mot. « Le roi… le roi… » se répétait-il.
    Le comte de Poitiers était
roi ; un petit Lombard allait être conduit à Saint-Denis… et Jean I er était vivant.
    Bouville alla rejoindre sa femme.
    — Philippe est reconnu, lui
dit-il. Qu’allons-nous devenir, avec ce roi qui nous reste sur les bras ?
    — Nous devons le faire
disparaître.
    — Ah ! non ! s’écria
Bouville indigné.
    — Il ne s’agit pas de cela. Tu
perds l’esprit, Hugues ! répliqua madame de Bouville. Je veux dire qu’il
faut le cacher.
    — Mais il ne régnera pas.
    — Il vivra, au moins. Et un
jour peut-être… Sait-on jamais !
    Mais comment le cacher ? À qui
le confier sans éveiller les soupçons ? Il était nécessaire, d’abord,
qu’il continuât d’être allaité…
    — La nourrice… Il n’y a que la
nourrice dont nous puissions nous servir, dit madame de Bouville. Allons la
trouver.
    Ils avaient été bien inspirés
d’attendre le départ des derniers barons, avant de venir avouer à Marie de
Cressay que son fils était mort. Car le hurlement qu’elle poussa traversa les
murs du manoir. À ceux qui l’entendirent et en demeurèrent glacés, on expliqua
ensuite que c’était un cri de la reine. Or la reine, si inconsciente qu’elle
fût, s’était dressée sur sa couche en demandant :
    — Qu’y a-t-il ?
    Même le vieux sénéchal de Joinville,
dans le fond de sa torpeur, en tressaillit.
    — On tue quelque part,
dit-il ; c’est un cri d’égorgé que j’ai entendu là…
    Pendant ce temps, Marie répétait
inlassablement :
    — Je veux le voir ! Je
veux le voir ! Je veux le voir !
    Bouville et sa femme furent obligés
de la saisir à bras-le-corps, pour l’empêcher de s’élancer, à demi folle, à
travers le château.
    Deux heures durant, ils
s’efforcèrent de la calmer, de la consoler, et surtout de se justifier,
reprenant dix fois des explications qu’elle n’entendait pas.
    Bouville pouvait bien lui affirmer
qu’il n’avait pas voulu cela, que c’était l’œuvre criminelle de la comtesse
Mahaut… Les mots s’inscrivaient inconsciemment dans la mémoire de Marie, d’où
ils resurgiraient plus tard ; mais sur l’instant, ils n’avaient pas de
signification.
    Elle s’arrêtait un moment de
pleurer, regardait droit devant elle, et puis brusquement se remettait à hurler
comme un chien sur lequel un char a passé.
    Les Bouville crurent vraiment qu’elle
perdait la raison. Ils épuisaient tous les arguments. Grâce à ce sacrifice
involontaire, Marie avait sauvé le vrai roi de France, le descendant de la
lignée illustre…
    — Vous êtes jeune, disait
madame de Bouville, vous aurez d’autres enfants. Quelle femme en sa vie n’a
perdu au moins un enfant au berceau ?
    Et de lui citer les jumeaux mort-nés
de Blanche de Castille, et tous les petits disparus de la famille royale,
depuis trois générations. Chez les Anjou, les Courtenay, les Bourgogne, les
Châtillon, les Bouville eux-mêmes, combien de mères, régulièrement

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