La Louve de France
mon cousin, vous
ne pouvez… dit le grand Philippe de Valois toujours prêt à épouser le point de
vue de Robert.
Mais sa femme, Jeanne de Bourgogne,
l’a tiré par la manche, et il s’est arrêté net ; et l’on verrait bien, si
ce n’était la nuit, qu’il rougit.
Robert d’Artois s’est aperçu du
geste, et du brusque mutisme de Philippe, et du regard qu’ont échangé Mahaut et
la jeune comtesse de Valois. S’il pouvait, il lui tordrait bien le cou, à cette
boiteuse-là !
— Ma sœur s’est peut-être
agrandi le danger, reprend le roi. Ces Despensers ne paraissent pas de si
méchantes gens qu’elle m’en a fait portrait. J’ai reçu d’eux plusieurs lettres
fort agréables et qui montrent qu’ils tiennent à mon amitié.
— Et des présents aussi, de
belle orfèvrerie, s’écrie Robert en se levant, et toutes les flammes des
cierges vacillent et les ombres se partagent sur les visages. Sire Charles, mon
aimé cousin, avez-vous, pour trois saucières de vermeil qui manquaient à votre
buffet, changé de jugement au sujet de ces gens qui vous ont fait la guerre, et
sont comme bouc à chèvre avec votre beau-frère ? Nous avons tous reçu
présents de leur part ; n’est-il pas vrai, Monseigneur de Beauvais, et
vous Cherchemont, et toi Philippe ? Un courtier en change, je puis vous
donner son nom, il s’appelle maître Arnold, a reçu l’autre mois cinq tonneaux
d’argent, pour un montant de cinq mille marcs esterlins, avec instruction de
les employer à faire des amis au comte de Gloucester dans le Conseil du roi de
France. Ces présents ne coûtent guère aux Despensers, car ils sont payés
aisément sur les revenus du comté de Cornouailles qu’on a saisi à votre sœur.
Voilà, Sire, ce qu’il vous faut savoir et vous remémorer. Et quelle loyauté
pouvez-vous attendre d’hommes qui se déguisent en femmes pour servir les vices
de leur maître ? N’oubliez pas ce qu’ils sont, et où siège leur puissance.
Robert ne saurait résister, même en
Conseil, à la tentation de la grivoiserie ; il insiste :
— … Siège : voilà le
juste mot !
Mais son rire ne lève aucun écho,
sinon chez le connétable. Le connétable n’aimait pas Robert d’Artois,
autrefois, et il en avait assez donné les preuves en aidant Philippe le Long,
au temps que celui-ci était régent, à défaire le géant et à le mettre en
prison. Mais, depuis quelque temps, le vieux Gaucher trouve à Robert des
qualités, à cause de sa voix peut-être, la seule qu’il comprenne sans effort.
Les partisans de la reine Isabelle,
ce soir, se peuvent compter. Le chancelier est indifférent, ou plutôt il est
attentif à conserver une charge qui dépend de la faveur ; son opinion
grossira le courant le plus fort. Indifférente aussi, la reine Jeanne, qui
pense peu ; elle souhaite surtout ne point éprouver d’émois qui soient
nuisibles à sa grossesse. Elle est nièce de Robert d’Artois et ne laisse pas
d’être sensible à son autorité, à sa taille, à son aplomb ; mais elle est
soucieuse de montrer qu’elle est une bonne épouse, et prête donc à condamner
par principe les épouses qui sont objet de scandale.
Le connétable serait plutôt
favorable à Isabelle. D’abord parce qu’il déteste Édouard d’Angleterre pour ses
mœurs, et ses refus de rendre l’hommage. De façon générale, il n’aime pas ce
qui est anglais. Il excepte de ce sentiment Lord Mortimer qui a rendu bien des
services ; ce serait lâcheté que de l’abandonner à présent. Il ne se gêne
point pour le dire, le vieux Gaucher, et pour déclarer également qu’Isabelle a
toutes les excuses.
— Elle est femme, que diable,
et son mari n’est pas homme ! C’est lui le premier coupable !
Monseigneur de Marigny, haussant un
peu la voix, lui répond que la reine Isabelle est fort pardonnable, et que
lui-même, pour sa part, est prêt à lui donner l’absolution ; mais
l’erreur, la grande erreur de Madame Isabelle, c’est d’avoir rendu son péché
public ; une reine ne doit point offrir l’exemple de l’adultère.
— Ah ! c’est vrai, c’est juste,
dit Gaucher. Ils n’avaient point besoin d’aller mains jointes en toutes
cérémonies, et de partager la même couche comme cela se dit qu’ils le font.
Sur ce point-là, il donne raison à
l’évêque. Le connétable et le prélat sont donc du parti de la reine Isabelle,
mais avec quelques restrictions. Et puis là s’arrêtent les
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