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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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imiter les plaisirs de sa belle-sœur
Marguerite de Bourgogne, alors qu’elle avait dix-huit ans, l’âge où l’on ne
sait pas ce que l’on fait !
    Ainsi celle qui aurait pu être en ce
moment reine de France, la seule femme que Charles le Bel ait vraiment aimée,
vient de s’éteindre alors qu’elle accédait à une relative paix. Et le roi
Charles le Bel, en qui cette mort soulève de lourdes vagues de souvenirs, est
triste devant sa troisième épouse qui sait fort bien à quoi il pense et qui
feint de ne pas s’en apercevoir.
    Mahaut a saisi l’occasion de ce
deuil. Elle est venue d’elle-même et sans se faire annoncer, comme poussée
seulement par le mouvement du cœur, offrir, elle la mère éprouvée, ses
condoléances à l’ancien mari malheureux ; et ils sont tombés dans les bras
l’un de l’autre. Mahaut, de sa lèvre moustachue, a baisé les joues de son
ex-gendre ; Charles, d’un mouvement enfantin, a laissé tomber son front
sur la monumentale épaule et répandu quelques larmes parmi les draperies de
corbillard dont la géante est vêtue. Ainsi se modifient les relations entre les
êtres humains quand la mort passe parmi eux et supprime les mobiles du
ressentiment.
    Elle a idée en tête, dame Mahaut,
pour s’être précipitée à Chaâlis ; et son neveu Robert ronge son frein. Il
lui sourit, ils se sourient, ils s’appellent « ma bonne tante », « mon
beau neveu » et se témoignent bon amour de parents comme ils s’y sont
engagés par le traité de 1318. Ils se haïssent. Ils s’entretueraient s’ils se
trouvaient seuls dans une même pièce. Mahaut est venue en vérité… elle ne le
dit pas mais Robert le devine bien !… à cause d’une lettre qu’elle a
reçue. Toutes les personnes présentes, d’ailleurs, ont reçu la même lettre, à
quelques variantes près : Philippe de Valois, l’évêque Marigny, le
connétable, et le roi… surtout le roi.
    Les étoiles parsèment la nuit qu’on
aperçoit, claire, par les fenêtres. Ils sont dix, onze personnages de la plus
haute importance, assis en cercle sous les voûtes, entre les piliers à
chapiteaux sculptés, et ils sont très peu. Ils ne se donnent pas à eux-mêmes
une véritable impression de force.
    Le roi, de caractère faible et
d’entendement limité, est, de surcroît, sans famille directe, sans serviteurs
personnels. Les princes ou les dignitaires autour de lui ce soir assemblés, qui
sont-ils ? Des cousins, ou bien des conseillers hérités de son père ou de
son oncle. Nul qui soit véritablement à lui, créé par lui, lié à lui. Son père
avait trois fils et deux frères siégeant à son Conseil ; et même les jours
de brouille, même les jours où feu Monseigneur de Valois jouait les ouragans,
c’était un ouragan de famille. Louis Hutin avait deux frères et deux
oncles ; Philippe le Long, ces mêmes oncles, qui l’appuyaient diversement,
et encore un frère, Charles lui-même. Ce survivant n’a presque plus rien. Son
Conseil fait penser irrésistiblement à une fin de dynastie ; le seul
espoir d’une continuation de la lignée, d’une dévolution directe, dort au
ventre de cette femme silencieuse, ni jolie ni laide, qui se tient les mains
croisées auprès de Charles, et qui se sait une reine de rechange.
    La lettre, la fameuse lettre dont on
est occupé, est datée du 19 juin et vient de Westminster ; le chancelier
la tient en main, la cire verte du sceau brisé s’écaille sur le parchemin.
    — Ce qui a produit si grande
ire au cour du roi Édouard paraît bien être que Monseigneur de Mortimer ait
tenu le manteau du duc d’Aquitaine, lors du couronnement de Madame la reine.
Que son personnel ennemi soit aposté auprès de son fils en telle marque de
dignité, Sire Édouard ne l’a pu ressentir que comme personnelle offense.
    C’est Monseigneur de Marigny qui
vient de parler, accompagnant parfois son propos d’un geste de ses doigts où
brille l’améthyste épiscopale. Ses trois robes superposées sont d’étoffe
légère, ainsi qu’il convient pour la saison, et la robe de dessus, plus courte,
tombe en plis harmonieux. On reconnaît par moments chez Monseigneur de Marigny
un peu de l’autorité du grand Enguerrand dont il est maintenant le seul frère
survivant.
    Le visage du prélat paraît sans
faiblesse, barré de sourcils horizontaux, de part et d’autre d’un nez droit.
Monseigneur de Marigny, si le sculpteur respecte ses traits, fera un beau
gisant pour le

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