La Louve de France
préoccupations du
connétable sur ce sujet. Il pense au collège de langue romane, qu’il a fondé
près de son château de Châtillon-sur-Seine, et où il serait en ce moment si on
ne l’avait pas retenu pour cette affaire. Il s’en consolera en allant tout à
l’heure écouter les moines chanter l’office de nuit, plaisir qui peut paraître
étrange, pour un homme qui devient sourd ; mais voilà, Gaucher entend
mieux dans le bruit. Et puis ce militaire a le goût des arts ; cela se
trouve.
La comtesse de Beaumont, une belle
jeune femme qui sourit toujours de la bouche et jamais des yeux, s’amuse
infiniment. Comment ce géant qu’on lui a donné pour mari, et qui lui fournit un
perpétuel spectacle, va-t-il se sortir de l’affaire où il est ? Il
gagnera, elle sait qu’il gagnera ; Robert gagne toujours. Et elle l’aidera
à gagner si elle le peut, mais point par des paroles publiques.
Philippe de Valois est pleinement
favorable à Madame d’Angleterre, mais il va la trahir, parce que sa femme, qui
hait Isabelle, lui a fait la leçon et que cette nuit elle se refusera à lui,
après cris et tempêtes, s’il agit autrement qu’elle en a décidé. Et le gaillard
à grand nez se trouble, hésite, bafouille.
Louis de Bourbon est sans courage.
On ne l’envoie plus dans les batailles, parce qu’il prend la fuite. Il n’a
aucun lien particulier avec la reine Isabelle.
Le roi est faible, mais capable
d’entêtement, comme cette fois dont on se souvient où il refusa tout un mois à
son oncle Charles de Valois la commission de lieutenant royal en Aquitaine. Il
est plutôt mal disposé à l’égard de sa sœur parce que les ridicules lettres
d’Édouard, à force de répétition, ont fini par agir sur lui ; et puis
surtout parce que Blanche est morte et qu’il repense au rôle joué par Isabelle,
il y a douze ans, dans la découverte du scandale. Sans elle, il n’aurait jamais
su ; et même sachant, il aurait, sans elle, pardonné, pour garder Blanche.
Cela valait-il tant d’horreur, d’infamie remuée, de jours de souffrances, et
pour finir ce trépas ?
Le clan des ennemis d’Isabelle ne
comprend que deux personnes, Jeanne la Boiteuse et Mahaut d’Artois, mais
solidement alliées par une commune haine.
Si bien que Robert d’Artois, l’homme
le plus puissant après le roi, et même, en beaucoup d’aspects, plus important
que le souverain, lui dont l’avis prévaut toujours, qui décide de toutes choses
d’administration, qui dicte les ordres aux gouverneurs, baillis et sénéchaux,
Robert est seul, soudain, à soutenir la cause de sa cousine.
Ainsi en va-t-il de l’influence dans
les cours ; c’est une étrange et fluctuante addition d’états d’âme, où les
situations se transforment insensiblement avec la marche des événements et la
somme des intérêts en jeu. Et les grâces portent en elles le germe des
disgrâces. Non qu’aucune disgrâce menace Robert ; mais Isabelle vraiment
est menacée. Elle que, voici quelques mois, on plaignait, on protégeait, on
admirait, à qui l’on donnait raison en tout, dont on applaudissait l’amour
comme une belle revanche, voilà qu’elle n’a plus au Conseil du roi qu’un seul
partisan. Or, l’obliger à rentrer en Angleterre, c’est tout exactement lui
poser le cou sur le billot de la tour de Londres, et cela chacun le sait bien.
Mais soudain on ne l’aime plus ; elle a trop triomphé. Personne n’est plus
désireux de se compromettre pour elle, sinon Robert, mais parce que c’est pour
lui une façon de lutter contre Mahaut.
Or, voici que celle-ci s’éploie à
son tour et lance son attaque depuis longtemps préparée.
— Sire, mon cher fils, je sais
l’amour que vous portez à votre sœur, et qui vous honore, dit-elle ; mais
il faut bien regarder en face qu’Isabelle est une mauvaise femme dont tous nous
pâtissons ou avons pâti. Voyez l’exemple qu’elle donne à votre cour, depuis qu’elle
s’y trouve, et songez que c’est la même femme qui fit pleuvoir naguère
mensonges sur mes filles et sur la sœur de Jeanne ici présente. Quand je disais
alors à votre père… Dieu en garde l’âme !… qu’il se laissait abuser par sa
fille, n’avais-je pas raison ? Elle nous a tous souillés à plaisir, par
des mauvaises pensées qu’elle voyait dans le cœur des autres et qui ne sont
qu’en elle, comme elle le prouve assez ! Blanche qui était pure, et qui
vous a aimé jusqu’à ses derniers jours
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