La Louve de France
dessus de son tombeau… mais dans longtemps, car il est jeune
encore. Il a su tôt profiter de la fortune d’Enguerrand quand celui-ci était au
plus haut de sa gloire, et s’en séparer à point nommé quand Enguerrand fut
précipité. Toujours il a traversé aisément les vicissitudes qu’entraînent les
changements de règne ; récemment encore, il a bénéficié des tardifs
remords de Charles de Valois. Il est fort influent au Conseil.
— Cherchemont, dit le roi
Charles à son chancelier, refaites-moi la lecture de cet endroit où notre frère
Édouard se plaint de messire de Mortimer.
Jean de Cherchemont déplie le
parchemin, l’approche d’un cierge, marmonne un peu avant de retrouver les
lignes en cause et lit :
— «…l’adhérence de notre femme
et notre fils avec nos traîtres et ennemis mortels notoirement connus en tant
que ledit traître, le Mortimer, porta à Paris la suite de notre fils,
publiquement, en la solennité de couronnement de notre très chère sœur, votre
compagne, la reine de France, à la Pentecôte dernière passée, en si grande
honte et dépit de nous… »
L’évêque Marigny se penche vers le
connétable Gaucher et lui murmure :
— Que voilà lettre bien mal
écrite !
Le connétable n’a pas bien
entendu ; il se contente de bougonner :
— Un hors-nature, un
sodomite !
— Cherchemont, reprend le roi,
quel droit avons-nous de nous opposer à la requête de notre frère d’Angleterre,
lorsqu’il nous enjoint de supprimer séjour à son épouse ?
Cette manière, de la part de Charles
le Bel, de s’adresser à son chancelier, et non pas de se tourner, comme il le
fait d’habitude, vers Robert d’Artois, son cousin, l’oncle de sa femme, son
premier conseiller, prouve bien que pour une fois il a une volonté en tête.
Jean de Cherchemont, avant de
répondre, parce qu’il n’est pas absolument sûr de l’intention du roi et qu’il
craint d’autre part de heurter Monseigneur Robert, Jean de Cherchemont se
réfugie dans la fin de la lettre comme si, avant de donner un avis, il lui
fallait en méditer davantage les dernières lignes.
— «…Ce pour quoi, très cher
frère, lit le chancelier, nous vous prions derechef, si affectueusement et de
cœur comme nous pouvons, que cette chose que nous désirons souverainement, veuillez
nos dites requêtes entendre et les parfaire bénignement, et tôt à effet, par
profit et honneur d’entre nous ; et que nous ne soyons déshonorés… »
L’évêque Marigny secoue la tête et
soupire. Il souffre d’entendre une langue si rugueuse, si gauche ! Mais
enfin, toute mal écrite qu’elle soit, cette lettre, le sens en est clair.
La comtesse Mahaut d’Artois se
tait ; elle se garde bien de triompher trop tôt, et ses yeux gris brillent
dans la lumière des cierges. Sa délation de l’automne dernier et ses machinations
avec l’évêque d’Exeter, en voici les fruits mûrs au début de l’été, et bons à
cueillir.
Personne ne lui ayant rendu le
service de lui couper la parole, le chancelier se voit contraint d’émettre un
avis.
— Il est certain, Sire, que
selon les lois à la fois de l’Église et des royaumes, il faut de quelque
manière donner apaisement au roi Édouard. Il réclame son épouse…
Jean de Cherchemont est un
ecclésiastique, ainsi que le veut sa fonction ; et il se tourne vers
l’évêque Marigny, quêtant des yeux un appui.
— Notre Saint-Père le pape nous
a lui-même fait porter un message dans ce sens par l’évêque Thibaud de
Châtillon, dit Charles le Bel.
Car Édouard est allé jusqu’à
s’adresser au pape Jean XXII, lui envoyant transcription de toute la
correspondance où s’étale son infortune conjugale. Que pouvait faire le pape
Jean, sinon répondre qu’une épouse doit vivre auprès de son époux ?
— Il faut donc que Madame ma
sœur s’en reparte vers son pays de mariage, ajouta Charles le Bel.
Il a dit cela sans regarder personne,
les yeux baissés vers ses souliers brodés. Un candélabre qui domine son siège
éclaire son front où l’on retrouve soudain quelque chose de l’expression butée
de son frère le Hutin.
— Sire Charles, déclare Robert
d’Artois, c’est livrer aux Despensers Madame Isabelle, poings liés, que de
l’obliger à s’en retourner là-bas ! N’est-elle pas venue chercher auprès
de vous refuge, parce qu’elle redoutait déjà d’être occise ? Que sera-ce à
présent !
— Certes, Sire
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