La Louve de France
mariage,
juste un bonsoir. La comtesse de Beaumont n’éprouve rien de cette caresse, mais
elle s’amuse ; elle s’amuse toujours de voir apparaître son mari, et
d’imaginer ce qu’il peut avoir en tête. Robert d’Artois s’est affalé sur un
siège ; il a étendu ses immenses jambes, les soulève de temps à autre, et
les laisse retomber, les deux talons ensemble.
— Vous ne vous couchez point,
Robert ?
— Non, ma mie, non. Je vais
même vous quitter pour courir à Paris tout à l’heure, quand ces moines auront
fini de chanter dans leur église.
La comtesse sourit.
— Mon ami, ne croyez-vous pas
que ma sœur de Hainaut pourrait accueillir quelque temps Isabelle, et lui
permettre de regrouper ses forces ?
— J’y pensais, ma belle
comtesse, j’y pensais justement.
Allons ! Madame de Beaumont est
rassurée ; son mari gagnera.
Ce n’était pas tellement le service
d’Isabelle qui mit Robert d’Artois à cheval, cette nuit-là, que sa haine pour
Mahaut. La gueuse voulait s’opposer à lui, nuire à ceux qu’il protégeait, et
reprendre influence sur le roi ? On verrait bien qui garderait le dernier
mot.
Il alla secouer son valet Lormet.
— Va faire seller trois
chevaux. Mon écuyer, un sergent…
— Et moi ? dit Lormet.
— Non, pas toi, tu vas
retourner dormir.
C’était gentillesse de la part de
Robert. Les années commençaient à peser sur le vieux compagnon de ses méfaits,
tout à la fois garde du corps, étrangleur et nourrice. Lormet maintenant avait
le souffle court et supportait mal les brumes du petit matin. Il maugréa.
Puisqu’on se passait de lui, à quoi bon l’avoir réveillé ? Mais il aurait
bougonné plus encore s’il lui avait fallu partir.
Les chevaux furent vite
sellés ; l’écuyer bâillait, le sergent d’armes achevait de se harnacher.
— En selle, dit Robert, ce sera
une promenade.
Bien assis sur le troussequin de sa
selle, il garda le pas pour sortir de l’abbaye par la ferme et les ateliers.
Puis, aussitôt atteinte la Mer de sable qui s’étendait claire, insolite et
nacrée, entre les bouleaux blancs, vrai paysage pour une assemblée de fées, il
fit prendre le galop. Dammartin, Mitry, Aulnay, Saint-Ouen : une promenade
de quatre heures avec quelques temps d’allure plus lente, pour souffler, et
juste une halte, dans une auberge ouverte la nuit qui servait à boire aux
rouliers de maraîchage.
Le jour ne pointait pas encore quand
on arriva au palais de la Cité. La garde laissa passage au premier conseiller
du roi. Robert monta droit aux appartements de la reine Isabelle, enjamba les
serviteurs endormis dans les couloirs, traversa la chambre des femmes qui
lancèrent des hurlements de volailles effarouchées et crièrent :
« Madame, Madame ! On entre chez vous. »
Une veilleuse brûlait au-dessus du
lit où Mortimer était couché avec la reine.
« Ainsi, c’est pour cela, pour
qu’ils puissent dormir dans les bras l’un de l’autre, que j’ai galopé toute la
nuit à m’enlever les fesses ! » pensa Robert.
La surprise passée, et les
chandelles allumées, toute gêne fut oubliée, en raison de l’urgence.
Robert mit les deux amants au
courant, rapidement, de ce qui s’était décidé à Chaâlis et se tramait contre
eux. Tout en écoutant, et en questionnant, Mortimer se vêtait devant Robert
d’Artois, très naturellement, comme cela se fait entre gens de guerre. La
présence de sa maîtresse ne semblait pas non plus l’embarrasser ; ils
étaient décidément bien installés en ménage.
— Il vous faut partir dans
l’heure, mes bons amis, voilà mon conseil, dit Robert, et tirer vers les terres
d’Empire pour vous y mettre à l’abri. Tous deux, avec le jeune Édouard, et
peut-être Cromwell, Alspaye et Maltravers, mais peu de monde pour ne point vous
ralentir, vous allez piquer sur le Hainaut, où je vais dépêcher un chevaucheur
qui vous devancera. Le bon comte Guillaume et son frère Jean sont deux grands
seigneurs loyaux, redoutés de leurs ennemis, aimés de leurs amis. La comtesse
mon épouse vous appuiera pour sa part auprès de sa sœur. C’est le meilleur
refuge que vous puissiez gagner pour le présent. Notre ami de Kent, que je vais
prévenir, vous rejoindra en se détournant par le Ponthieu, afin de rassembler
les chevaliers que vous avez là-bas. Et puis, à la grâce de Dieu !… Je
veillerai à ce que Tolomei continue à vous acheminer des fonds ;
d’ailleurs, il ne
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