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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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visière auquel s’attachait le camail d’acier, et le
haubert de mailles par-dessus quoi flottait sa cotte d’armes rouge et bleu,
ornée de ses emblèmes.
    La reine était vêtue de la même
manière, son mince et blond visage enchâssé dans le tissu d’acier, et la jupe
traînant jusqu’à terre mais sous laquelle elle avait chaussé, comme les hommes,
des jambières de mailles.
    Et le jeune prince Édouard, lui
aussi, se montrait en tenue de guerre. Il avait beaucoup grandi, ces derniers
mois, et pris un peu tournure d’homme. Il observait les mouettes, les mêmes,
lui semblait-il, aux mêmes cris rauques, aux mêmes becs avides, qui avaient
accompagné le départ de la flotte dans l’embouchure de la Meuse.
    Ces oiseaux lui rappelaient la
Hollande. Tout, d’ailleurs, la mer grise, le ciel gris nuancé de vagues
traînées roses, le quai aux petites maisons de brique où l’on allait bientôt
aborder, le paysage vert, onduleux, laguneux qui s’étendait derrière Harwich,
tout s’accordait pour le faire se souvenir des paysages hollandais. Mais
aurait-il contemplé un désert de pierres et de sable, sous un soleil flambant,
qu’il eût encore songé, par différence, à ces terres de Brabant, d’Ostrevant,
de Hainaut, qu’il venait de quitter. C’est que Monseigneur Édouard, duc
d’Aquitaine et héritier d’Angleterre, était, pour ses quatorze ans trois
quarts, tombé amoureux en Hollande.
    Et voici comment la chose s’était
faite, et quels notables événements avaient marqué la mémoire du jeune prince
Édouard.
    Après qu’on eut fui Paris à la
sauvette, en ce petit matin où Monseigneur d’Artois avait intempestivement
éveillé le Palais, on s’était hâté, en forçant les journées, pour gagner au
plus pressé les terres d’Empire, jusqu’à ce qu’on fût parvenu chez le sire
Eustache d’Aubercicourt, lequel, aidé de sa femme, avait fait un accueil tout
d’empressement et de liesse à la reine anglaise et à sa compagnie. Dès
qu’installée et répartie au mieux dans le château cette chevauchée inattendue,
messire d’Aubercicourt avait sauté en selle pour s’en aller prévenir le bon
comte Guillaume, dont la femme était cousine germaine de la reine Isabelle, en
sa ville capitale de Valenciennes. Le lendemain même accourait le frère cadet
du comte, messire Jean de Hainaut.
    Curieux homme que celui-ci ;
non point d’apparence, car il était bien honnêtement fait, le visage rond sur
un corps solide, l’œil rond, le nez rond au-dessus d’une brève moustache
blonde ; mais singulier dans sa manière d’agir. Car, arrivé devant la
reine, et pas encore débotté, il avait mis un genou sur les dalles, et s’était
écrié, la main sur le cœur :
    — Dame, voyez ici votre
chevalier qui est prêt à mourir pour vous, quand même tout le monde vous ferait
faute et j’userai de tout mon pouvoir, avec l’aide de vos amis, pour vous
reconduire, vous et Monseigneur votre fils, par-delà la mer en votre État
d’Angleterre. Et tous ceux que je pourrai prier y mettront leur vie, et nous
aurons gens d’armes assez, s’il plaît à Dieu.
    La reine, pour le remercier d’une
aide si soudaine, avait esquissé le geste de s’agenouiller devant lui ;
mais messire Jean de Hainaut l’en avait empêchée et la saisissant à pleins
bras, et toujours la serrant et lui soufflant dans la figure, avait
continué :
    — Ne plaise à Dieu que jamais
la reine d’Angleterre ait à se ployer devant quiconque. Confortez-vous, Madame,
et votre gentil fils aussi, car je vous tiendrai ma promesse.
    Lord Mortimer commençait à faire la
longue figure, trouvant que messire Jean de Hainaut avait l’empressement un peu
vif à mettre son épée au service des dames. Vraiment cet homme-là se prenait
proprement pour Lancelot du Lac, car il avait déclaré tout soudain qu’il ne
souffrirait dormir ce soir-là sous le même toit que la reine, afin de ne pas la
compromettre, et comme s’il n’apercevait pas au moins six grands seigneurs
autour d’elle ! Il s’en était allé faire benoîtement retraite en une
abbaye voisine, pour revenir tôt le lendemain, après messe et boire, quérir la
reine et conduire toute cette compagnie à Valenciennes.
    Ah ! les excellentes gens que
ce comte Guillaume le Bon, son épouse et leurs quatre filles, qui vivaient dans
un château blanc ! Le comte et la comtesse formaient un ménage
heureux ; cela se voyait sur leurs visages et

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