La Louve de France
et plus jaune que
jamais, les cheveux pendant sur les oreilles, la cotte d’armes maculée, il
était assis les jambes écartées contre un rouleau de filin, et gémissait à
chaque vague comme si elle eût apporté son trépas.
Enfin, par la grâce de Monseigneur
saint Georges la mer s’étant apaisée, chacun avait pu remettre un peu d’ordre
sur sa personne. Puis les hommes de vigie avaient reconnu la terre
d’Angleterre, à quelques milles seulement plus au sud du point où l’on voulait
arriver ; les mariniers s’étaient dirigés vers le port de Harwich où l’on
abordait à présent, et dont la nef royale, rames levées, frôlait déjà le môle
de bois.
Le jeune prince Édouard d’Aquitaine,
à travers ses longs cils blonds, contemplait rêveusement les choses autour de
lui, car tout ce que son regard rencontrait et qui était rond, roux ou rose,
les nuages poussés par la brise de septembre, les voiles basses et gonflées des
derniers navires, les croupes des alezans de Flandre, les joues de messire Jean
de Hainaut, tout lui rappelait, invinciblement, la Hollande de ses amours.
En posant la semelle sur le quai de
Harwich, Roger Mortimer se sentit tout à fait semblable à son ancêtre qui, deux
cent soixante années plus tôt, avait débarqué sur le sol anglais aux côtés du
Conquérant. Et cela se vit bien à son air, à son ton et à la manière dont il
prit toutes choses en main.
Il partageait la direction de
l’expédition, à égalité de commandement, avec Jean de Hainaut, partage assez
normal puisque Mortimer n’avait pour lui que sa bonne cause, quelques seigneurs
anglais et l’argent des Lombards ; tandis que l’autre conduisait les deux
mille sept cent cinquante-sept hommes qui allaient combattre. Toutefois,
Mortimer considérait que l’autorité de Jean de Hainaut ne devait s’exercer que
sur l’organisation et la subsistance des troupes, tandis que lui-même entendait
garder la responsabilité entière des opérations. Le comte de Kent, pour sa
part, semblait peu soucieux de se pousser en avant ; car si, en dépit des
informations optimistes qu’on avait reçues, une partie de la noblesse demeurait
fidèle au roi Édouard, les troupes de ce dernier seraient commandées par le
comte de Norfolk, maréchal d’Angleterre, c’est-à-dire le propre frère de Kent. Or,
se révolter contre un demi-frère plus vieux de vingt ans et qui se montre
mauvais roi est une chose ; mais c’en est une tout autre que de tirer
l’épée contre un frère très aimé et dont un an seulement vous sépare.
Mortimer, cherchant d’abord le
renseignement, avait fait quérir le Lord-maire de Harwich. Savait-il où se
trouvaient les troupes royales ? Quel était le plus proche château qui
pouvait offrir abri à la reine le temps qu’on débarquât les hommes et qu’on
déchargeât les navires ?
— Nous sommes ici, déclara
Mortimer au Lord-maire, pour aider le roi Édouard à se défaire des mauvais
conseillers dont gémit son royaume, et pour remettre la reine en l’état qui lui
est dû. Nous n’avons donc point d’autres intentions que celles inspirées par la
volonté des barons et de tout le peuple d’Angleterre.
Voilà qui était bref, clair, ce que
Roger Mortimer répéterait à chaque halte afin d’expliquer, aux gens qui s’en
pourraient surprendre, l’arrivée de cette armée étrangère.
Le Lord-maire, un vieil homme dont
les cheveux blancs voletaient, et qui frissonnait dans sa robe, non point de
froid mais de peur, ne paraissait guère avoir d’informations. Le roi, le
roi ?… On disait qu’il était à Londres, à moins qu’il ne fût à Portsmouth…
En tout cas, à Portsmouth, une grande flotte devait être rassemblée, puisqu’un
ordre du mois dernier avait commandé à tous les bateaux de s’y diriger pour
prévenir une invasion française ; cela expliquait qu’il y eût si peu de
navires dans le port.
Lord Mortimer ne négligea pas de
montrer à ce moment quelque fierté et particulièrement devant messire de
Hainaut. Car il avait fait habilement répandre, par des émissaires, son
intention de débarquer sur la côte sud ; la ruse avait pleinement réussi.
Mais Jean de Hainaut pouvait être orgueilleux, pour sa part, de ses mariniers
hollandais qui avaient tenu leur cap en dépit de la tempête.
La région n’était point
gardée ; le Lord-maire n’avait pas connaissance de mouvements de troupes
dans les parages, ni reçu autre consigne que
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