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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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de pareille manière avec un seigneur de sa cour ? Le prince était
résolu, quand viendrait son tour de régner, à ne jamais tolérer pareilles
turpitudes parmi ses barons, et il montrerait à tous, auprès de sa Philippa, un
vrai, bel et loyal amour d’homme et de femme, de reine et de roi. Cette ronde,
rousse et grasse personne, déjà fortement féminine, et qui lui paraissait la
plus belle demoiselle de toute la terre, avait sur le duc d’Aquitaine un
pouvoir rassurant.
    Ainsi c’était son droit à l’amour
que le jeune homme allait gagner, et cela effaçait pour lui la peine qu’il y a
à marcher en guerre contre son propre père.
    Trois mois donc avaient passé de
cette manière heureuse, les plus beaux sans conteste qu’eut connus le prince
Edouard.
    Le rassemblement des Hennuyers,
puisque ainsi s’appelaient les chevaliers de Hainaut, s’était fait à Dordrecht,
sur la Meuse, jolie ville étrangement coupée de canaux, de bassins, où chaque
rue de terre enjambait une rue d’eau, où les navires de toutes les mers, et
ceux aussi, plats et sans voiles, qui remontaient les rivières, accostaient
jusque devant le parvis des églises. Une cité pleine de négoces et de
richesses, où les seigneurs marchaient sur les quais entre les ballots de laine
et les caisses d’épices, où l’odeur de poisson, fraîche et salée, flottait
autour des halles, où les mariniers et les portefaix mangeaient dans la rue de
belles soles blondes toutes chaudes surgies de la friture et qu’on achetait aux
éventaires, où le peuple, sortant après messe de la grosse cathédrale de
brique, venait badauder devant ce grand arroi de guerre, jamais encore vu, et
qui se tenait au pied des demeures ! Les mâtures des nefs se balançaient
plus haut que les toits.
    Combien d’heures, et d’efforts, et
de cris n’avait-il pas fallu pour charger les bateaux, ronds comme les sabots
dont la Hollande était chaussée, de tout l’attirail de cette cavalerie :
caisses d’armements, coffres aux cuirasses, vivres, cuisines, fourneaux, et une
maréchalerie par bannière et cent hommes avec les enclumes, les soufflets, les
marteaux ! Ensuite, on avait dû embarquer les gros chevaux de Flandre, ces
lourds alezans pattus aux robes presque rouges sous le soleil, avec des crinières
plus pâles, délavées et flottantes, et d’énormes croupes charnues, soyeuses,
vraies montures de chevaliers sur lesquelles on pouvait poser les selles à
hauts arçons, accrocher les caparaçons de fer, et placer un homme en
armure ; près de quatre cents livres à emporter au galop.
    On comptait mille et plus de ces
chevaux, car messire Jean de Hainaut, tenant parole, avait réuni mille
chevaliers, accompagnés de leurs écuyers, leurs varlets, leurs goujats, soit au
total deux mille sept cent cinquante-sept hommes à solde, d’après le registre
qu’en tenait Gérard de Alspaye.
    Le château d’arrière de chaque
vaisseau servait d’appartement aux grands seigneurs de l’expédition.
    Ayant mis à la voile le matin du 22
septembre, afin de profiter des courants d’équinoxe, on avait navigué tout un
jour sur la Meuse pour venir s’ancrer devant les digues de Hollande. Les
mouettes criardes tournaient autour des nefs. Le lendemain, la flotte cinglait
vers la haute mer. Le temps paraissait beau ; mais voici que vers la fin
du jour le vent s’était levé par le travers, contre lequel les navires avaient
peine à lutter ; sur une eau creusée d’énormes vagues, toute l’expédition
souffrait de grand malaise et de grande peur. Les chevaliers vomissaient
par-dessus les rambardes quand encore il leur restait la force de s’en
approcher. Les équipages eux-mêmes étaient incommodés et les chevaux, bousculés
dans les écuries d’entrepont, répandaient des odeurs affreuses. Une tempête est
plus effrayante de nuit que de jour. Les aumôniers s’étaient mis en prières.
    Messire Jean de Hainaut faisait
merveille de courage et de réconfort auprès de la reine Isabelle, un peu trop
même, car il est certaines occasions où l’empressement des hommes peut devenir
importun aux dames. La reine avait éprouvé comme un soulagement lorsque messire
de Hainaut s’était trouvé malade à son tour.
    Seul, Lord Mortimer paraissait
résister au gros temps ; les hommes jaloux ne souffrent pas du mal de mer,
du moins cela se dit. En revanche, le baron de Maltravers présentait lorsque
vint l’aurore un pitoyable aspect. Le visage plus long

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