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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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normalement, les receveurs de percevoir les
taxes vaille que vaille, le guet de faire surveillance dans les villes, et que,
somme toute, la vie publique eût suivi son cours normal par une sorte
d’habitude du corps social.
    Donc, le gardien du royaume, le
dépositaire provisoire de la souveraineté, avait quinze ans moins un mois. Les
ordonnances qu’il allait promulguer seraient scellées de son sceau privé,
puisque les sceaux de l’État avaient été emportés par le roi et le chancelier
Baldock. Le premier acte de gouvernement du jeune prince fut de présider, le
jour même, au procès du Hugh Le Despenser le Vieux.
    L’accusation fut soutenue par sir
Thomas Wake, rude chevalier et déjà âgé, qui était maréchal de l’ost [47] ,
et qui présenta le Despenser, comte de Winchester, comme responsable de
l’exécution de Thomas de Lancastre, responsable du décès à la tour de Londres
de Roger Mortimer l’aîné (car le vieux Lord de Chirk n’avait pu voir le retour
triomphal de son neveu et s’était éteint dans son cachot quelques semaines plus
tôt), responsable aussi de l’emprisonnement, du bannissement ou de la mort de
nombreux autres seigneurs, de la spoliation des biens de la reine et du comte
de Kent, de la mauvaise gestion des affaires du royaume, des défaites d’Ecosse
et d’Aquitaine, toutes choses survenues par ses exhortations et funestes
conseils. Les mêmes griefs seraient repris désormais contre tous les
conseillers du roi Édouard.
    Ridé, voûté, la voix faible, Hugh le
Vieux, qui avait feint tant d’années un tremblant effacement devant les désirs
du roi, montra l’énergie dont il était capable. Il n’avait plus rien à perdre,
il se défendit pied à pied.
    Les guerres perdues ? Elles
l’avaient été par la lâcheté des barons. Les exécutions capitales, les
emprisonnements ? Ils avaient été décrétés contre des traîtres et des
rebelles à la royale autorité, sans le respect de laquelle les royaumes
s’effondrent. Les séquestres de fiefs et de revenus n’avaient été décidés que
pour empêcher les ennemis de la couronne de se fournir en hommes et en fonds.
Et si l’on venait à lui reprocher quelques pillages et spoliations, comptait-on
pour rien les vingt-trois manoirs qui étaient ses propriétés ou celles de son
fils et que Mortimer, Lancastre, Maltravers, Berkeley, tous présents ici,
avaient fait piller et brûler l’an 1321, avant d’être défaits, les uns à
Shrewsbury, les autres à Boroughbridge ? Il ne s’était que remboursé des
dommages par lui subis et qu’il évaluait à quarante mille livres, sans pouvoir
estimer les violences et sévices de tous ordres, commis sur ses gens.
    Il termina par ces mots adressés à
la reine :
    — Ah ! Madame ! Dieu
nous doit bon jugement, et si nous ne pouvons l’avoir en ce siècle, il nous le
doit dans l’autre monde !
    Le jeune prince Édouard avait relevé
ses longs cils et écoutait avec attention. Hugh Le Despenser le Vieux fut
condamné à être traîné, décapité et pendu, ce qui lui fit dire avec quelque
mépris :
    — Je vois bien, mes Lords, que
décapiter et pendre sont pour vous deux choses diverses, mais pour moi cela ne
fait qu’une seule mort !
    Son attitude, bien surprenante pour
tous ceux qui l’avaient connu en d’autres circonstances, expliquait soudain la
grande influence qu’il avait exercée. Cet obséquieux courtisan n’était pas un
lâche, ce détestable ministre n’était pas un sot.
    Le prince Édouard donna son
approbation à la sentence ; mais il réfléchissait et commençait à se
former silencieusement une opinion sur le comportement des hommes promus aux
hautes charges. Écouter avant de parler, s’informer avant de juger, comprendre
avant de décider, et garder toujours présent à l’esprit que dans chaque homme
se trouvent ensemble les ressources des meilleures actions et des pires. Ce
sont là, pour un souverain, les dispositions fondamentales de la sagesse.
    Il est rare qu’on ait, avant d’avoir
quinze ans, à condamner à mort un de ses semblables. Édouard d’Aquitaine, pour
son premier jour de pouvoir, recevait un bon entraînement.
    Le vieux Despenser fut lié par les
pieds au harnais d’un cheval, et traîné à travers les rues de Bristol. Puis,
les tendons déchirés, les os fêlés, il fut amené sur la place du château et
installé à genoux devant le billot. On lui rabattit ses cheveux blancs pour
dégager la nuque. Un

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