La Louve de France
accueillantes à nos chevaliers, ce qui est bonne chose pour
les maintenir en humeur de guerre. Pour moi, si je folâtrais, je donnerais
mauvais exemple et perdrais de ce pouvoir qu’il faut au chef pour rappeler,
quand de besoin, ses troupes à l’ordre. Et puis, le vœu que j’ai fait à ma Dame
Isabelle me l’interdit et, si je venais à y manquer, la fortune de notre expédition
pourrait se mettre à la traverse. Si tant est que les nuits me rongent un
peu ; mais comme les chevauchées sont longues, le sommeil ne me fuit pas.
Je pense qu’au retour de cette aventure, je me marierai.
« Sur le propos de mariage je
vous dois informer, mon cher frère, ainsi que ma chère sœur la comtesse votre
épouse, que Monseigneur le jeune prince Édouard est toujours dans la même
humeur touchant votre fille Philippa, et qu’il ne se passe point de journées
sans qu’il ne m’en demande nouvelles, et que toutes ses pensées de cœur
semblent bien demeurer tournées vers elle, et que ce sont bonnes et profitables
accordailles qui ont été conclues là dont votre fille sera, j’en suis sûr,
toujours bien heureuse. Je me suis attaché d’amitié au jeune prince Edouard qui
paraît m’admirer fort, bien qu’il parle peu ; il se tient souvent
silencieux comme vous m’avez décrit le puissant roi Philippe le Bel, son
grand-père. Il se peut bien qu’il devienne un jour aussi grand souverain que le
roi le Bel le fut, et peut-être même avant le temps qu’il aurait dû attendre de
Dieu sa couronne, si j’en crois ce qui se dit au Conseil des barons anglais.
« Car le roi Édouard a fait
piètre figure à tout ce qui survint. Il était à Westmoutiers lorsque nous
sommes débarqués, et s’est aussitôt réfugié en sa tour de Londres pour se
mettre le corps à l’abri ; et il a fait clamer par tous les shérifs, qui
sont gouverneurs des comtés de son royaume, et en tous lieux publics, places,
foires et marchés, l’ordonnance dont voici la transcription :
« Vu
que Roger de Mortimer et autres traîtres et ennemis du roi et de son royaume
ont débarqué par la violence, et à la tête de troupes étrangères qui veulent
renverser le pouvoir royal, le roi ordonne à tous ses sujets de s’y opposer par
tous les moyens et de les détruire. Seuls doivent être épargnés la reine, son
fils et le comte de Kent. Tous ceux qui prendront les armes contre
l’envahisseur recevront grosse solde et à quiconque apportera au roi le cadavre
de Mortimer, ou seulement sa tête, il est promis récompense de mille livresesterlings . »
« Les ordres du roi Édouard
n’ont été obéis de personne ; mais ils ont fort servi l’autorité de
Monseigneur de Mortimer en montrant le prix qu’on estimait sa vie, et en le
désignant comme notre chef plus encore qu’il ne l’était. La reine a riposté en
promettant deux mille livres esterlings à qui lui porterait la tête de Hugh Le
Despensier le Jeune, estimant à ce taux les torts que ce seigneur lui avait
faits dans l’amour de son époux.
« Les Londoniens sont restés
indifférents à la sauvegarde de leur roi, lequel s’est entêté jusqu’au bout
dans ses erreurs. La sagesse eût été de chasser son Despensier qui mérite si
bien le nom qu’il a ; mais le roi Édouard s’est obstiné à le garder,
disant qu’il était instruit assez par l’expérience passée, que pareilles choses
étaient survenues autrefois au sujet du chevalier de Gaveston qu’il avait
consenti à éloigner de lui, sans que cela eût empêché qu’on tuât par la suite
ce chevalier et qu’on lui imposât, à lui, le roi, une charte et un conseil
d’ordonnateurs dont il n’avait eu que trop de peine à se débarrasser. Le
Despensier l’encourageait dans cette opinion, et ils ont, à ce qu’on dit, versé
force larmes sur le sein l’un de l’autre ; et même le Despensier aurait crié
qu’il préférait mourir sur la poitrine de son roi que de vivre sauf à l’écart
de lui. Et bien sûr il a fort avantage à dire cela, car cette poitrine est son
seul rempart.
« Si bien qu’ils sont restés,
chacun les abandonnant à leurs vilaines amours, entourés seulement du
Despensier le Vieux, du comte d’Arundel qui est parent au Despensier, du comte
de Warenne qui est beau-frère d’Arundel, et enfin du chancelier Baldock qui ne
peut que demeurer fidèle au roi, vu qu’il est si unanimement haï que partout où
il irait il serait mis en pièces.
« Le roi a cessé
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