La Louve de France
paraissait prêt
à défaillir et gémissait :
— C’est ton épouse, tu vois,
qui veut cela ! C’est elle, c’est cette louve française, qui est cause de
tout ! Ah ! Édouard, Édouard, pourquoi l’as-tu épousée ?
Henry Tors-Col, Orleton,
l’archidiacre Chandos et William Blount regardaient ces deux hommes embrassés
et, si incompréhensible que leur fût le spectacle de cette passion, ils ne
pouvaient s’empêcher d’y reconnaître quelque affreuse grandeur.
À la fin, ce fut Tors-Col qui
s’approcha, prit le Despenser par le bras, en disant :
— Allons, il faut vous séparer.
Et il l’entraîna.
— Adieu, Hugh, adieu, criait
Édouard. Je ne te verrai plus, ma chère vie, ma belle âme ! On m’aura donc
tout pris !
Les larmes roulaient dans sa barbe
blonde.
Hugh le Despenser fut confié aux
chevaliers d’escorte qui commencèrent par le revêtir d’un capuchon de paysan,
en grosse bure, sur lequel ils peignirent, par dérision, les armoiries et
emblèmes des comtés que lui avait donnés le roi. Puis ils le hissèrent, les
mains liées dans le dos, sur le plus petit et chétif cheval qu’ils trouvèrent,
un bidet nain, maigre et bourru comme il en existe en campagne. Hugh avait des
jambes très longues ; il était forcé de les replier ou bien de laisser
traîner les pieds dans la boue. On le conduisit ainsi de ville en bourg, à
travers tout le Monmouthshire et le Hertfordshire, l’exposant sur les places
pour que le peuple s’en divertît tout son saoul. Les trompettes sonnaient
devant le prisonnier, et un héraut criait :
— Voyez, bonnes gens, voyez le
comte de Gloucester, le Lord chambellan, voyez le mauvais homme qui a si fort
nui au royaume !
Le chancelier Robert de Baldock fut
convoyé plus discrètement, vers l’évêché de Londres, pour y être emprisonné, sa
qualité d’archidiacre empêchant de requérir contre lui la peine de mort.
Toute la haine se concentra donc sur
Hugh Le Despenser le Jeune. Son jugement fut rapidement instruit, à
Hereford ; sa condamnation n’était mise en discussion ni en doute par
personne. Mais parce qu’on le tenait pour le premier fauteur de toutes les
erreurs et de tous les malheurs dont avait souffert l’Angleterre, son supplice
fut l’objet de raffinements particuliers.
Le vingt-quatrième jour de novembre,
des tribunes furent dressées sur l’esplanade devant le château, et une
plate-forme d’échafaud montée assez haut pour qu’un peuple nombreux pût
assister, sans en perdre aucun détail, à l’exécution. La reine Isabelle prit
place au premier rang de la plus grande tribune, entre Roger Mortimer et le
prince Édouard. Il bruinait.
Les trompes et les busines
sonnèrent. Les aides bourreaux amenèrent Hugh le Jeune, le dépouillèrent de ses
vêtements. Quand son long corps aux hanches saillantes, au torse un peu creux,
apparut, blanc et totalement nu, entre les bourreaux rouges et au-dessus des
piques des archers qui entouraient l’échafaud, un immense rire gras s’éleva de
la foule.
La reine Isabelle se pencha vers
Mortimer et lui murmura :
— Je déplore qu’Édouard ne soit
point présent à regarder. Les yeux brillants, ses petites dents carnassières
entrouvertes, et les ongles plantés dans la paume de son amant, elle était bien
attentive à ne rien perdre de sa vengeance.
Le prince Édouard pensait :
« Est-ce donc là celui qui a tant plu à mon père ? » Il avait
déjà assisté à deux supplices et savait qu’il tiendrait jusqu’au bout, sans
vomir.
Les busines sonnèrent à nouveau.
Hugh fut étendu et lié par les membres sur une croix de Saint-André
horizontale.
Le bourreau affila lentement, sur
une pierre d’affûtage, une lame aiguë, pareille à un couteau de boucher, et en
éprouva le tranchant sous le pouce. La foule retenait son souffle. Puis un aide
s’approcha, muni d’une tenaille dont il saisit le sexe du condamné. Une vague
d’hystérie souleva l’assistance ; les pieds battants faisaient trembler
les tribunes. Et malgré ce vacarme, on perçut le hurlement poussé par Hugh, un
seul cri déchirant et arrêté net, tandis qu’un flot de sang jaillissait devant
lui. La même opération fut répétée pour les génitoires, mais sur un corps déjà
inconscient, et les tristes déchets jetés dans un fourneau plein de braises
ardentes qu’un aide éventait. Il s’échappa une affreuse odeur de chair brûlée.
Un héraut, placé devant les sonneurs de
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