La Louve de France
retranché dans sa
ville et son château de Bristol pour y faire échec à notre avance, tandis que
les comtes d’Arundel et Warenne ont gagné leurs domaines du Shropshire ;
c’est manière ainsi de tenir les Marches de Galles au nord et au sud, tandis
que le roi, avec le Despensier le Jeune et son chancelier Baldock, est parti
lever une armée en Galles. À vrai dire on ne sait point présentement ce qui est
advenu de lui. D’aucuns bruits circulent qu’il se serait embarqué pour
l’Irlande.
« Tandis que plusieurs
bannières anglaises sous le commandement du comte de Charlton se sont mises en
course vers le Shropshire afin d’y défier le comte d’Arundel, hier,
vingt-quatrième jour d’octobre, un mois tout juste écoulé depuis que nous avons
quitté Dordrecht, nous sommes entrés aisément, et grandement acclamés, dans la
ville de Gloucester. Ce jour nous allons avancer sur Bristol, où le Despensier
le Vieux s’est enfermé. J’ai pris en charge de donner l’assaut à cette
forteresse et vais avoir enfin l’occasion, qui ne m’a point encore été donnée
tant nous trouvons peu d’ennemis sur notre approche, de livrer combat pour ma
Dame Isabelle et montrer à ses yeux ma vaillance. Je baiserai la flamme de
Hainaut qui flotte à ma lance avant de me ruer.
« J’ai confié à vous, mon très
cher et très aimé frère, avant que de m’empartir, mes volontés de testament, et
ne vois rien que j’y veuille reprendre ou ajouter. S’il me faut souffrir la
mort, vous saurez que je l’ai soufferte sans déplaisir ni regret, comme le doit
un chevalier à la noble défense des dames et des malheureux opprimés, et pour
l’honneur de vous, de ma chère sœur votre épouse, et de mes nièces, vos aimées
filles, que tous Dieu garde.
« Donné à Gloucester le
vingt-cinquième jour d’octobre mil trois cent et vingt-cinq. »
Jean.
Messire Jean de Hainaut n’eut pas,
le lendemain, à faire montre de sa vaillance, et sa belle préparation d’âme
resta vaine.
Quand il se présenta au matin,
toutes bannières flottantes et heaumes lacés, devant Bristol, la ville était
déjà décidée à se rendre et on aurait pu la prendre avec un bâton. Les notables
s’empressèrent d’envoyer des parlementaires qui ne s’inquiétèrent que de savoir
où les chevaliers voulaient loger, protestant de leur attachement à la reine et
s’offrant à livrer sur-le-champ leur seigneur, Hugh Le Despenser le Vieux, seul
coupable de leur empêchement à témoigner plus tôt de leurs bonnes intentions.
Les portes de la ville aussitôt
ouvertes, les chevaliers prirent quartier dans les beaux hôtels de Bristol.
Despenser le Vieux fut appréhendé dans son château et gardé par quatre
chevaliers, tandis que la reine, le prince héritier et les principaux barons
s’installaient dans les appartements. La reine retrouva là ses trois autres
enfants qu’Édouard II, en fuyant, avait laissés à la garde du Despenser.
Isabelle s’émerveillait qu’ils eussent en vingt mois si fort grandi, et ne se
lassait pas de les contempler et de les embrasser. Soudain elle regarda
Mortimer, comme si cet excès de joie la mettait en faute envers lui, et
murmura :
— Je voudrais, ami, que Dieu
m’eût fait la grâce qu’ils fussent nés de vous.
À l’instigation du comte de Lancastre,
un conseil fut immédiatement réuni autour de la reine, et qui groupait les
évêques de Hereford, Norwich, Lincoln, Ely et Winchester, l’archevêque de
Dublin, les comtes de Norfolk et de Kent, le baron Roger Mortimer de Wigmore,
sir Thomas Wake, sir William La Zouche d’Ashley, Robert de Montait, Robert de
Merle, Robert de Watteville et le sire Henry de Beaumont [46] .
Ce conseil, tirant argument
juridique de ce que le roi Édouard se trouvait hors des frontières – qu’il
fût en Galles ou en Irlande ne faisait pas de différence – décida de
proclamer le jeune prince Édouard gardien et mainteneur du royaume en l’absence
du souverain. Les principales fonctions administratives furent aussitôt
redistribuées et Adam Orleton, qui était la tête pensante de la révolte, reçut
la charge de Lord trésorier.
Il était grand temps, en vérité, de
pourvoir à la réorganisation de l’autorité centrale. C’était merveille même
que, pendant tout un mois, le roi en fuite, ses ministres dispersés, et
l’Angleterre livrée à la chevauchée de la reine et des Hennuyers, les douanes
eussent continué de fonctionner
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