La Louve de France
devant le
souverain, Orleton dont chaque apparition, depuis quelques semaines, avait
signifié à Édouard la confiscation d’une partie de son pouvoir. Le roi regarda
les autres évêques et le grand chambellan ; il fit un effort de dignité
pour demander :
— Qu’avez-vous à me dire, mes
Lords ?
Mais la voix se formait mal sur ses
lèvres pâlies, parmi la barbe blonde.
L’évêque de Winchester lut le
message par lequel le Parlement sommait le souverain de déclarer sa
renonciation au trône ainsi qu’à l’hommage de ses vassaux, de donner agrément à
la désignation de son fils, et de remettre aux envoyés les insignes rituels de
la royauté.
Quand l’évêque de Winchester se fut
tu, Édouard resta silencieux un long moment. Toute son attention semblait fixée
sur la couronne. Il souffrait, et sa douleur était si visiblement physique, si
profondément marquée sur ses traits, que l’on pouvait douter qu’il fût en train
de penser. Pourtant il dit :
— Vous avez la couronne en vos
mains, mes Lords, et me tenez à votre merci. Faites donc ce qu’il vous plaira,
mais de par mon consentement point.
Alors Adam Orleton avança d’un pas
et déclara :
— Sire Édouard, le peuple
d’Angleterre ne vous veut plus pour roi, et son Parlement nous envoie vous le
déclarer. Mais le Parlement accepte pour roi votre fils aîné, le duc
d’Aquitaine, que je lui ai présenté ; et votre fils ne veut accepter sa
couronne que de votre gré. Si donc vous vous obstinez au refus, le peuple sera
libre de son choix et pourra bien élire pour souverain prince, celui, parmi les
grands du royaume, qui le contentera le plus, et ce roi pourra n’être point de
votre lignage. Vous avez trop mis à trouble vos États ; après tant d’actes
qui leur ont nui, c’est le seul à présent que vous puissiez accomplir pour leur
rendre la paix.
De nouveau le regard d’Édouard
s’éleva vers Lancastre. Malgré le malaise qui l’envahissait, le roi avait bien
compris l’avertissement contenu dans les paroles de l’évêque. Si l’abdication
n’était pas consentie, le Parlement, dans son besoin de se trouver un roi, ne
manquerait pas de choisir le chef de la rébellion, Roger Mortimer, qui
possédait déjà le cœur de la reine. Le visage du roi avait pris une teinte
cireuse, inquiétante ; le menton continuait de trembler ; les narines
se pinçaient.
— Monseigneur Orleton a
justement parlé, dit Tors-Col, et vous devez renoncer, mon cousin, pour rendre
la paix à l’Angleterre, et pour que les Plantagenets continuent d’y régner.
Édouard, alors, incapable
apparemment d’articuler une parole, fit signe d’approcher la couronne et
inclina la tête comme s’il voulait qu’on le ceignît une dernière fois.
Les évêques se consultaient du
regard, ne sachant comment agir, ni quel geste accomplir, en cette cérémonie
imprévue qui n’avait point de précédent dans la liturgie royale. Mais la tête
du roi continuait de s’abaisser, graduellement, vers les genoux.
— Il passe ! s’écria
soudain l’archidiacre Chandos qui portait le coussin aux emblèmes.
Tors-Col et Orleton se précipitèrent
pour retenir Édouard évanoui au moment où son front allait cogner sur les
dalles.
On le remit dans son siège, on lui
frappa les joues, on courut chercher du vinaigre. Enfin, il respira longuement,
rouvrit les yeux, regarda autour de lui ; puis, d’un coup, il se mit à
sangloter. La mystérieuse force que l’onction et les magies du sacre infusent
aux rois, et pour ne servir parfois que des dispositions funestes, venait de se
retirer de lui. Il était comme exorcisé de la royauté.
À travers ses pleurs, on l’entendit
parler :
— Je sais, mes Lords, je sais
que c’est par ma propre faute que je suis tombé à si grande misère, et que je
me dois résigner à la souffrir. Mais je ne puis m’empêcher de ressentir lourd
chagrin de toute cette haine de mon peuple, que je ne haïssais point. Je vous
ai offensés, je n’ai point agi pour le bien. Vous êtes bons, mes Lords, très
bons de garder dévouement à mon aîné fils, de n’avoir point cessé de l’aimer et
de le désirer pour roi. Donc, je vous veux satisfaire. Je renonce devant vous à
tous mes droits sur le royaume ; je délie tous mes vassaux de l’hommage
qu’ils m’ont fait et leur demande le pardon. Approchez…
Et de nouveau il fit le geste
d’appeler les emblèmes. Il saisit le sceptre, et son bras fléchit
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