La Louve de France
comme s’il en
avait oublié le poids ; il le remit à l’évêque de Winchester en
disant :
— Pardonnez, my Lord, pardonnez
les offenses que je vous ai faites.
Il avança ses longues mains blanches
vers le coussin, souleva la couronne, y appuya ses lèvres comme on baise la
patène ; puis, la tendant à Adam Orleton :
— Prenez-la, my Lord, pour en
ceindre mon fils. Et accordez-moi pardon des maux et injustices que je vous ai
causés. Dans la misère où je suis, que mon peuple me pardonne. Priez pour moi,
mes Lords, qui ne suis plus rien.
Tout le monde était frappé de la
noblesse des paroles. Édouard ne se révélait roi qu’à l’instant où il cessait
de l’être.
Alors, sir William Blount, le grand
chambellan, sortit de l’ombre des piliers, s’avança entre Édouard II et
les évêques, et brisa sur son genou son bâton sculpté, comme il l’eût fait,
pour marquer que le règne était terminé, devant le cadavre d’un roi descendu au
tombeau.
VI
LA GUERRE DES MARMITES
« Vu
que Sire Édouard, autrefois roi d’Angleterre, a de sa propre volonté, et par le
conseil commun et l’assentiment des prélats, comtes, barons et autres nobles,
et de toute la communauté, résigné le gouvernement du royaume, et consenti et
voulu que le gouvernement audit royaume passât à Sire Édouard, son fils et
héritier, et que celui-ci gouverne et soit couronné roi, pour laquelle raison
tous les grands ont prêté hommage, nous proclamons et publions la paix de notre
dit seigneur Sire Édouard le fils et ordonnons de sa part à tous que nul ne
doit enfreindre la paix de notre dit seigneur le roi, car il est et sera prêt à
faire droit à tous ceux dudit royaume, envers et contre tous, tant aux hommes
de peu qu’aux grands. Et si qui que ce soit réclame quoi que ce soit d’un autre,
qu’il le fassedans la légalité, sans user de la force ou autres
violences . »
Cette proclamation fut lue le 24
janvier 1327 devant le Parlement d’Angleterre, et un conseil de régence
aussitôt institué ; la reine présidait ce conseil de douze membres parmi
lesquels les comtes de Kent, Norfolk et Lancastre, le maréchal sir Thomas Wake
et, le plus important de tous, Roger Mortimer, baron de Wigmore.
Le dimanche 1 er février
le couronnement d’Édouard III eut lieu à Westminster. La veille, Henry
Tors-Col avait armé chevalier le jeune roi en même temps que les trois fils
aînés de Roger Mortimer.
Lady Jeanne Mortimer, qui avait
recouvré sa liberté et ses biens, mais perdu l’amour de son époux, était
présente. Elle n’osait regarder la reine, et la reine n’osait la regarder. Lady
Jeanne souffrait sans répit de cette trahison des deux êtres au monde qu’elle
avait le plus aimés et le mieux servis. Quinze ans de présence auprès de la
reine Isabelle, de dévouement, d’intimité, de risques partagés, devaient-ils
recevoir pareil paiement ? Vingt-trois ans d’union avec Mortimer, auquel
elle avait donné onze enfants, devaient-ils s’achever de la sorte ? En ce
grand bouleversement qui renversait les destins du royaume et amenait son époux
au faîte de la puissance, Lady Jeanne, si loyale toujours, se retrouvait parmi
les vaincus. Et pourtant elle pardonnait, elle s’effaçait avec dignité, parce
qu’il s’agissait justement des deux êtres qu’elle avait le plus admirés, et
qu’elle comprenait que ces deux êtres se fussent aimés d’un inévitable amour
dès l’instant que le sort les avait rapprochés.
À l’issue du sacre, la foule fut
autorisée à pénétrer dans l’évêché de Londres pour y assommer l’ancien
chancelier Robert de Baldock. Messire Jean de Hainaut reçut dans la semaine une
rente de mille marks esterlins à prendre sur le produit de l’impôt des laines
et cuirs dans le port de Londres.
Messire Jean de Hainaut serait
volontiers resté plus longtemps à la cour d’Angleterre. Mais il avait promis de
se rendre à un grand tournoi, à Condé-sur-l’Escaut, où s’étaient promis
rencontre toute une foule de princes, dont le roi de Bohême. On allait jouter,
parader, rencontrer belles dames qui avaient traversé l’Europe pour voir
s’affronter les plus beaux chevaliers ; on allait séduire, danser, se divertir
de fêtes et de scènes jouées. Messire Jean de Hainaut ne pouvait manquer cela,
ni de briller, plumes sur le heaume, au milieu des lices sablées. Il accepta
d’emmener une quinzaine de chevaliers anglais qui voulaient
Weitere Kostenlose Bücher