La Louve de France
ministres.
Quinto, il a emprisonné, exilé,
déshérité, condamné à une mort honteuse beaucoup de ses grands vassaux.
Sexto, il a ruiné le royaume ;
il est incorrigible et incapable de s’amender.
Pendant ce temps, les bourgeois de
Londres, inquiets et partagés – leur évêque ne s’est-il pas déclaré contre
la déposition ? – se sont réunis au Guild Hall. Ils sont moins aisés à
manœuvrer que les représentants des comtés. Vont-ils faire échec au
Parlement ? Roger Mortimer, qui n’est rien en titre et tout en fait, court
au Guild Hall, remercie les Londoniens de leur loyale attitude et leur garantit
le maintien des libertés coutumières de la cité. Au nom de qui, au nom de quoi
donne-t-il cette garantie ? Au nom d’un adolescent qui n’est même pas roi
encore, qui vient à peine d’être désigné par acclamation. Le prestige de
Mortimer, l’autorité de sa personne, opèrent sur les bourgeois londoniens. On
l’appelle déjà le Lord protecteur. De qui est-il protecteur ? Du prince,
de la reine, du royaume ? Il est le Lord protecteur, voilà tout, l’homme
promu par l’Histoire et entre les mains duquel chacun se démet de sa part de
pouvoir et de jugement.
Et soudain l’inattendu survient. Le
jeune prince, qu’on croyait déjà roi, le pâle jeune homme aux longs cils qui a
suivi en silence tous ces événements et ne semblait songer qu’aux yeux bleus de
Madame Philippa de Hainaut, Édouard d’Aquitaine déclare à sa mère, au Lord
protecteur, à Monseigneur Orleton, aux Lords évêques, à tous ceux qui
l’entourent, qu’il ne ceindra pas la couronne sans le consentement de son père
et sans que celui-ci ait officiellement proclamé qu’il s’en défaisait.
La stupeur gèle les visages, les
mains tombent au bout des bras. Quoi ? Tant d’efforts remis en
cause ? Quelques soupçons se tournent vers la reine. Ne serait-ce pas elle
qui aurait agi secrètement sur son fils, par un de ces imprévisibles retours
d’affection comme il en vient aux femmes ? Y a-t-il eu brouille entre elle
et le Lord protecteur, cette nuit où chacun devait prendre le conseil de sa
conscience ?
Mais non ; c’est ce garçon de
quinze ans tout seul, qui a réfléchi sur l’importance de la légitimité du
pouvoir. Il ne veut pas faire figure d’usurpateur, ni détenir son sceptre de la
volonté d’une assemblée qui pourrait le lui retirer aussi bien qu’elle le lui a
donné. Il exige le consentement de son prédécesseur. Non point qu’il nourrisse
des sentiments forts tendres envers son père ; il le juge. Mais il juge
chacun.
Depuis des années, trop de choses
mauvaises se sont passées devant lui et l’ont forcé à juger. Il sait que le
crime n’est pas entièrement d’un côté, et l’innocence de l’autre. Certes, son
père a fait souffrir sa mère, l’a déshonorée, dépouillée ; mais cette
mère, avec Lord Mortimer, quel exemple donne-t-elle à présent ? Si un
jour, pour quelque faute qu’il lui arriverait de commettre, Madame Philippa se
mettait à agir de même ? Et ces barons, ces évêques, tous si acharnés
aujourd’hui contre le roi Édouard, n’ont-ils pas exercé le gouvernement avec
lui ? Norfolk, Kent, les jeunes oncles, ont reçu, accepté des
charges ; les évêques de Winchester et de Lincoln sont allés négocier au
nom du roi Édouard. Les Despensers n’étaient pas en tous lieux et, même s’ils
commandaient, ils n’ont pas exécuté eux-mêmes leurs propres ordres. Qui s’est
risqué à refuser d’obéir ? Le cousin au Tors-Col, oui, celui-là a eu ce
courage ; et Lord Mortimer aussi qui a payé sa rébellion d’une longue
prison. Mais pour deux que voilà, combien d’obséquieux courtisans maintenant
pleins d’ardeur à se décharger sur leur maître des conséquences de leur
servilité ?
Tout autre prince de cet âge serait
aisément grisé de recevoir une couronne tendue par tant de mains. Lui relève
ses longs cils, regarde fixement, rougit un peu de son audace, et s’obstine
dans sa décision. Alors Monseigneur Orleton appelle à lui les évêques de Winchester
et de Lincoln, ainsi que le grand chambellan William Blount, ordonne de sortir
du Trésor de la Tour la couronne et le sceptre, les fait mettre dans un coffre
sur le bât d’une mule, et lui-même, emportant ses vêtements de cérémonie,
reprend le chemin de Kenilworth afin d’obtenir l’abdication du roi.
V
KENILWORTH
Les remparts extérieurs,
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