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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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tout au moins l’origine, de ses
premières erreurs, du mauvais chemin pris par sa vie.
    — Il m’aimait si bien, disait
le roi prisonnier ; et puis dans ce jeune âge que j’avais, j’étais prêt à
croire toutes les paroles et à me confier entièrement à si bel amour.
    À présent encore, il ne pouvait
s’empêcher d’être attendri lorsqu’il se rappelait le charme de ce petit
chevalier gascon, sorti de rien, « un champignon né dans une nuit »
comme disaient les barons, et qu’il avait fait comte de Cornouailles au mépris
de tous les grands seigneurs du royaume.
    — Il en avait si forte
envie ! disait Édouard.
    Et quelle merveilleuse insolence que
celle de Pierre, une insolence qui ravissait Édouard ! Un roi ne pouvait
se permettre de traiter ses barons comme son favori le faisait.
    — Te rappelles-tu, Tors-Col,
comme il appelait le comte de Gloucester un bâtard ? Et comme il criait au
comte de Warwick : « Va te coucher, chien noir ! »
    — Et comme il insultait aussi
mon frère en le nommant cornard, ce que Thomas ne lui pardonna jamais, parce
que c’était vrai.
    Peur de rien, ce Pierrot, pillant
les bijoux de la reine et jetant l’offense autour de lui comme d’autres
distribuent l’aumône, parce qu’il était sûr de l’amour de son roi !
Vraiment un effronté comme on n’en vit jamais. En plus, il avait de l’invention
dans le divertissement, faisait mettre ses pages nus, les bras chargés de
perles, la bouche fardée, une branche feuillue tenue sur le ventre, et
organisait ainsi de galantes chasses dans les bois. Et les escapades dans les
mauvais lieux du port de Londres, où il se colletait avec les portefaix, car il
était fort en plus, le gaillard ! Ah ! quelles belles années de
jeunesse Édouard lui devait !
    — J’avais cru tout cela
retrouver en Hugh, mais l’imagination y pourvoyait plus que la vérité. Vois-tu,
Tors-Col, ce qui rendait Hugh différent de Pierrot c’est qu’il était d’une
vraie famille de grands barons et ne pouvait l’oublier… Mais si je n’avais pas
connu Pierrot, je suis bien sûr que j’aurais été un autre roi.
    Au cours des interminables soirées
d’hiver, entre deux parties d’échecs, Henry Tors-Col, les cheveux couvrant son
épaule droite, écoutait donc les aveux de ce roi, que les revers, l’écroulement
de sa puissance et la captivité venaient de brusquement vieillir, dont le corps
d’athlète semblait s’amollir, dont le visage bouffissait, surtout aux
paupières. Et pourtant tel qu’il était, Édouard gardait encore une certaine
séduction. Quel dommage qu’il ait eu de si mauvaises amours et cherché sa
confiance en de si mauvais cœurs !
    Tors-Col avait conseillé à Édouard
d’aller se présenter devant son Parlement, mais en vain. Ce roi faible ne
montrait de force que dans le refus.
    — Je sais bien que j’ai perdu
mon trône, Henry, répondait-il, mais je n’abdiquerai pas.
     
    Portés sur un coussin, la couronne
et le sceptre d’Angleterre s’élevaient lentement, marche par marche, dans
l’étroit escalier du keep de Kenilworth. Derrière, les mitres oscillaient et
les pierreries des crosses scintillaient dans la pénombre. Les évêques,
retroussant sur leurs chevilles leurs trois robes brodées, se hissaient dans la
tour.
    Le roi, sur un siège qui, d’être
unique, faisait figure de trône, attendait, au fond du gigantesque hall, le
front dans la main, le corps affaissé, entre les piliers qui soutenaient des
arcs d’ogives pareils à ceux des cathédrales. Tout, ici, avait des proportions
inhumaines. Le jour pâle de janvier qui tombait par les hautes et très étroites
fenêtres ressemblait à un crépuscule.
    Le comte de Lancastre, la tête
penchée, se tenait debout à côté de son cousin, en compagnie de trois
serviteurs qui n’étaient même pas ceux du souverain. Les murs rouges, les
piliers rouges, les arcs rouges composaient autour de ce groupe un tragique
décor pour la fin d’une puissance.
    Lorsqu’il vit apparaître, par la
porte à deux battants ouverte, puis avancer vers lui cette couronne et ce
sceptre qui lui avaient été amenés pareillement, vingt ans plus tôt, sous les
voûtes de Westminster, Édouard se redressa sur son siège, et son menton se mit
à trembler un peu. Il leva les yeux vers son cousin de Lancastre, comme pour
chercher appui, et Tors-Col détourna le regard tant cette supplication muette
était insupportable.
    Puis Orleton fut

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