La Louve de France
Édouard avec épouvante en reconnaissant ce baron qu’il
avait autrefois spolié et banni, et dont la tête fleurait l’assassinat.
— Je te conduis, Plantagenet,
en un lieu où tu seras plus en sûreté ; et pour que cette sûreté soit
complète, tu ne dois pas savoir où tu vas afin que ta tête ne risque pas le
confier à ta bouche.
Maltravers avait pour instructions
de contourner les villes et de ne pas traîner en chemin. Le 5 avril, après une
route faite tout entière au grand trot ou au galop, et seulement coupée d’un
arrêt dans une abbaye proche de Gloucester, l’ancien roi entra au château de
Berkeley pour y être remis à la garde d’un des gendres de Mortimer.
L’ost anglais, d’abord convoqué à
Newcastle et pour l’Ascension, se réunit à la Pentecôte et dans la ville
d’York. Le gouvernement du royaume avait été transporté là, et le Parlement y
tint une session, tout comme au temps du roi déchu, quand l’Ecosse attaquait.
Bientôt arrivèrent messire Jean de
Hainaut et ses Hennuyers, qu’on n’avait pas manqué d’appeler à la rescousse. On
revit donc, montés sur les gros chevaux roux et tout fiévreux encore des grands
tournois de Condé-sur-l’Escaut, les sires de Ligne, d’Enghien, de Mons et de
Sarre, et Guillaume de Bailleul, Perceval de Sémeries et Sance de Boussoy, et
Oulfart de Ghistelles qui avaient fait triompher dans les joutes les couleurs
de Hainaut, et messires Thierry de Wallecourt, Rasses de Grez, Jean Pilastre et
les trois frères de Harlebeke sous les bannières du Brabant ; et encore
des seigneurs de Flandre, du Cambrésis, de l’Artois, et avec eux le fils du
marquis de Juliers.
Jean de Hainaut n’avait eu qu’à les
rassembler à Condé. On passait de la guerre au tournoi et du tournoi à la guerre.
Ah ! Que de plaisirs et de nobles aventures !
Des réjouissances furent données à
York en l’honneur du retour des Hennuyers. Les meilleurs logements leur furent
affectés ; on leur offrit fêtes et festins, avec abondance de viandes et
de poulailles. Les vins de Gascogne et du Rhin coulaient à barils percés.
Ce traitement fait aux étrangers
irrita les archers anglais, qui étaient six bons milliers parmi lesquels nombre
d’anciens soldats du feu comte d’Arundel, le décapité.
Un soir, une rixe, comme il en survient
banalement parmi des troupes stationnées, éclata pour une partie de dés, entre
quelques archers anglais et les valets d’armes d’un chevalier de Brabant. Les
Anglais, qui n’attendaient que l’occasion, appellent leurs camarades à
l’aide ; tous les archers se soulèvent pour mettre à mal les goujats du
Continent ; les Hennuyers courent à leurs cantonnements, s’y retranchent.
Leurs chefs de bannières, qui étaient à festoyer, sortent dans les rues,
attirés par le bruit, et sont aussitôt assaillis par les archers d’Angleterre.
Ils veulent chercher refuge dans leurs logis, mais n’y peuvent pénétrer car
leurs propres hommes s’y sont barricadés. La voici sans armes ni défense, cette
fleur de la noblesse de Flandre ! Mais elle est composée de solides gaillards.
Messires Perceval de Sémeries, Fastres de Rues et Sance de Boussoy, s’étant
saisis de lourd leviers de chêne trouvés chez un charron, s’adossent à un mur
et assomment, à eux trois, une bonne soixantaine d’archers qui appartenaient à
l’évêque de Lincoln !
Cette petite querelle entre alliés
fit un peu plus de trois cents morts.
Les six mille archers, oubliant tout
à fait la guerre d’Ecosse, ne songeaient qu’à exterminer les Hennuyers. Messire
Jean de Hainaut, outragé, furieux, voulait rentrer chez lui, à condition encore
qu’on levât le siège autour de ses cantonnements ! Enfin, après quelques
pendaisons, les choses s’apaisèrent. Les dames d’Angleterre, qui avaient
accompagné leurs maris à l’ost, firent mille sourires aux chevaliers de
Hainaut, mille prières pour qu’ils restassent, et leurs yeux se mouillèrent. On
cantonna les Hennuyers à une demi-lieue du reste de l’armée, et un mois passa
de la sorte, à se regarder comme chiens et chats.
Enfin on décida de se mettre en
campagne. Le jeune roi Édouard III, pour sa première guerre, s’avançait à
la tête de huit mille armures de fer et de trente mille hommes de pied.
Malheureusement, les Écossais ne se
montraient pas. Ces rudes hommes faisaient la guerre sans fourgons ni convoi.
Leurs troupes légères n’emportaient pour
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