Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
extrême-onction.
    Toute la nuit, l’ancien roi avait
cherché vainement à deviner où on le conduisait. À présent, le jour paraissait.
    — Que faire, sir Thomas, pour
qu’on ne puisse point reconnaître un homme ? reprit sentencieusement
Maltravers.
    — Lui changer le visage, sir
John, je ne vois que cela, répondit Gournay.
    — Il faudrait le barbouiller de
goudron, ou bien de suie.
    — Ainsi les paysans croiraient
que c’est un Maure que nous accompagnons.
    — Par malchance, nous n’avons
pas de goudron.
    — Alors, on pourrait le raser,
dit Thomas Gournay en appuyant sa proposition d’un lourd clin d’œil.
    — Ah ! voici la bonne
idée, mon compagnon ! D’autant que nous avons un barbier dans notre suite.
Le Ciel nous vient en aide. Ogle, Ogle, approche donc !… As-tu ton bassin,
tes rasoirs ?
    — Je les ai, sir John, pour
vous servir, répondit Ogle en rejoignant les deux chevaliers.
    — Alors arrêtons-nous ici. Je
vois un peu d’eau qui court dans ce ruisseau.
    Tout cela était, depuis la veille,
concerté. La petite colonne fit halte. Gournay et Ogle mirent pied à terre.
Gournay avait les épaules larges, les jambes très courtes et arquées. Ogle
étendit une toile sur l’herbe du talus, y disposa ses ustensiles et se mit à
aiguiser un rasoir, lentement, en regardant l’ancien roi.
    — Que voulez-vous de moi ?
Qu’allez-vous me faire ? demanda Édouard II d’une voix angoissée.
    — Nous voulons que tu descendes
de ton destrier, noble Sire, afin que nous te fassions un autre visage. Voilà
justement un bon trône pour toi, dit Thomas Gournay en désignant une taupinière
qu’il écrasa du talon de sa botte. Allons ! Assieds-toi.
    Édouard obéit. Comme il hésitait un
peu, Gournay le poussa à la renverse, et les soldats d’escorte éclatèrent de
rire.
    — En rond, vous autres, leur
dit Gournay.
    Ils se disposèrent en cercle, et le
colosse Towurlee se plaça derrière le roi afin de lui peser sur les épaules,
s’il en était besoin.
    L’eau du ruisseau était glacée
qu’alla puiser Ogle.
    — Mouille-lui la face, dit
Gournay.
    Le barbier lança tout le contenu du
bassin, d’un coup, à la face du roi. Puis il commença de passer le rasoir sur
les joues, sans précaution. Les touffes blondes tombaient dans l’herbe.
    Maltravers était resté à cheval. Les
mains appuyées au pommeau, les cheveux lui pendant sur les oreilles, il suivait
l’opération en y prenant un évident plaisir.
    Entre deux coups de rasoir, Édouard
s’écria :
    — Vous me faites trop
souffrir ! Ne pourriez-vous au moins me mouiller d’eau chaude ?
    — De l’eau chaude ?
s’écria Gournay. Voyez donc le délicat.
    Et Ogle rapprochant sa face ronde et
blanchâtre du visage du roi lui souffla de tout près :
    — Et my Lord Mortimer, quand il
était à la tour de Londres, faisait-on chauffer l’eau de son bassin ?
    Puis il reprit sa tâche, à grands
coups de lame. Le sang perlait sur la peau. De douleur, Édouard se mit à
pleurer.
    — Ah ! voyez l’habile
homme, s’écria Maltravers ; il a trouvé le moyen d’avoir quand même de
l’eau chaude sur les joues.
    — Je rase également les cheveux,
sir Thomas ? demanda Ogle.
    — Certes, certes, les cheveux
aussi, répondit Gournay.
    Le rasoir fit tomber les mèches
depuis le front jusqu’à la nuque.
    Au bout d’une dizaine de minutes,
Ogle tendit à son patient un miroir d’étain, et l’ancien souverain d’Angleterre
y découvrit avec stupéfaction sa face véritable, enfantine et vieillotte à la
fois, sous le crâne nu, étroit et allongé. Le long menton ne cachait plus sa
faiblesse. Édouard se sentait dépouillé, ridicule, comme un chien tondu.
    — Je ne me reconnais pas,
dit-il.
    Les hommes qui l’entouraient se
remirent à rire.
    — Ah ! voilà qui est
bien ! dit Maltravers du haut de son cheval. Si toi-même tu ne te
reconnais pas, ceux qui pourraient te rechercher te reconnaîtront encore moins.
Voilà ce qu’on gagne à vouloir s’évader.
    Car telle était la raison de ce
déplacement. Quelques seigneurs gallois, sous la conduite d’un des leurs, Rhys
ap Gruffyd, avaient organisé, pour délivrer le roi déchu, une conspiration dont
Mortimer avait été prévenu. Dans le même temps, Édouard, profitant d’une
négligence de Thomas de Berkeley, s’était enfui un matin de sa prison.
Maltravers, aussitôt parti en chasse, l’avait rattrapé au milieu de la forêt
courant

Weitere Kostenlose Bücher