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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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roi Édouard II était certain
qu’on allait le tuer. Mais il existe bien des manières de faire mourir un
homme.
    Thomas Gournay et John Maltravers
n’avaient pas ordre exprès de l’assassiner, mais plutôt de l’anéantir. Ils
choisirent donc la manière lente. Deux fois le jour, d’affreuses bouillies de
seigle étaient servies à l’ancien souverain, tandis que ses gardiens
s’empiffraient devant lui de toutes sortes de victuailles. Et pourtant, à cette
infecte nourriture comme aux moqueries et aux coups dont on le gratifiait, le
prisonnier résistait. Il était singulièrement robuste de corps et même
d’esprit. D’autres à sa place eussent facilement perdu la raison : lui se
contentait de gémir. Mais ses gémissements mêmes témoignaient de son bon sens.
    — Mes péchés sont-ils si lourds
qu’ils ne méritent ni pitié ni assistance ? Avez-vous perdu toute charité
chrétienne, toute bonté ? disait-il à ses geôliers. Si je ne suis plus un
souverain, je demeure pourtant père et époux ; comment puis-je faire
encore peur à ma femme et à mes enfants ? Ne sont-ils pas suffisamment
satisfaits d’avoir pris tout ce qui m’appartenait ?
    — Et que te plains-tu, Sire
roi, de ton épouse ? Madame la reine ne t’a-t-elle pas envoyé de beaux
vêtements, et de douces lettres que nous t’avons lues ?
    — Fourbes, fourbes, répondait
Édouard, vous m’avez montré les vêtements mais vous ne me les avez point
donnés, et vous me laissez pourrir dans cette mauvaise robe. Et les lettres,
pourquoi cette méchante femme les a-t-elle envoyées, sinon pour pouvoir feindre
qu’elle m’a témoigné de la compassion. C’est elle, c’est elle avec le méchant
Mortimer qui vous donne les ordres de me tourmenter ! Sans elle et sans ce
traître, mes enfants, j’en suis sûr, accourraient m’embrasser !
    — La reine ton épouse et tes
enfants, répondait Maltravers, ont trop peur de ta cruelle nature. Ils ont trop
subi tes méfaits et ta fureur pour désirer t’approcher.
    — Parlez, mauvais, parlez,
disait le roi. Un temps viendra où les tourments qui me sont infligés seront
vengés.
    Et il se mettait à pleurer, son
menton nu enfoui dans ses bras. Il pleurait, mais il ne mourait point.
    Gournay et Maltravers s’ennuyaient à
Corfe, car tous les plaisirs s’épuisent, même ceux qu’on prend à torturer un
roi. Et puis Maltravers avait laissé sa femme Eva à Berkeley, auprès de son
beau-frère ; et puis, dans la région de Corfe, on commençait à savoir que
le roi détrôné était détenu là. Alors, après échange de messages avec Mortimer,
on décida de ramener Édouard à Berkeley.
    Lorsque, encadré de la même escorte,
il repassa, un peu plus maigre seulement et un peu plus voûté, les grosses
herses, les ponts-levis, les deux enceintes, le roi Édouard II, si
malheureux qu’il fût, éprouva un immense soulagement et comme le sentiment de
la délivrance. Son astrologue avait menti.
     

VIII

« BONUM EST »
    La reine Isabelle était déjà au lit,
ses deux nattes d’or tombant sur sa poitrine. Roger Mortimer entra, sans se
faire annoncer, ainsi qu’il en avait le privilège. À l’expression de son
visage, la reine sut de quel sujet il allait lui parler, lui reparler plutôt.
    — J’ai reçu nouvelles de
Berkeley, dit-il d’un ton qui se voulait calme et détaché.
    Isabelle ne répondit pas.
    La fenêtre était entrouverte sur la
nuit de septembre. Mortimer alla l’ouvrir tout à fait et resta un moment à
contempler la ville de Lincoln, vaste et tassée, encore piquetée de quelques
lumières, et qui s’étendait au-dessous du château. Lincoln était en importance
la quatrième ville du royaume après Londres, Winchester et York. L’un des
morceaux du corps de Hugh Le Despenser le Jeune y avait été expédié dix mois
auparavant. La cour, arrivant du Yorkshire, venait de s’y installer depuis une
semaine.
    Isabelle regardait les hautes
épaules de Mortimer et sa nuque couverte de cheveux en rouleaux se découper,
ombre sur le ciel nocturne, dans l’encadrement de la fenêtre. Dans ce moment
précis, elle ne l’aimait pas.
    — Votre époux paraît s’obstiner
à vivre, reprit Mortimer en se retournant, et cette vie met en péril la paix du
royaume. On continue de conspirer pour sa délivrance dans les manoirs de
Galles. Les dominicains ont le front de prêcher en sa faveur jusques à Londres
même, où les troubles qui nous ont inquiétés

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