La Louve de France
bagage qu’une pierre plate accrochée à
la selle, et un petit sac de farine ; ils savaient vivre de cela pendant
plusieurs jours, mouillant la farine à l’eau des ruisseaux et la faisant cuire
en galettes sur la pierre chauffée au feu. Les Écossais s’amusaient de l’énorme
armée anglaise, prenaient le contact, escarmouchaient, se repliaient aussitôt,
franchissaient et repassaient les rivières, attiraient l’adversaire dans les
marais, les forêts épaisses, les défilés escarpés. On errait à l’aventure entre
la Tyne et les monts Cheviot.
Un jour les Anglais entendent une
grande rumeur dans un bois où ils progressaient. L’alarme est donnée. Chacun
s’élance, la visière baissée, l’écu au col, la lance au poing, sans attendre
père, frère ni compagnon, et ceci pour rencontrer, tout penaudement, une harde
de cerfs qui fuyait affolée devant les bruits d’armures.
Le ravitaillement devenait
malaisé ; le pays ne produisait rien ; des marchands acheminaient
péniblement quelques denrées qu’ils vendaient dix fois leur valeur. Les
montures manquaient d’avoine et de fourrage. Là-dessus, la pluie se mit à
tomber, sans désemparer, pendant une grande semaine ; les panneaux de
selles pourrissaient sous les cuisses, les chevaux laissaient leur ferrure dans
la boue ; toute l’armée rouillait. Le soir, les chevaliers usaient le
tranchant de leur épée à tailler des branchages pour se construire des huttes.
Et toujours les Écossais restaient insaisissables !
Le maréchal de l’ost, sir Thomas
Wake, était désespéré. Le comte de Kent regrettait presque La Réole ; au
moins, là-bas, le temps était beau. Henry Tors-Col avait des rhumatismes dans
la nuque. Mortimer s’irritait, et se lassait de courir sans cesse de l’armée à
Yorkshire, où se trouvaient la reine et les services du gouvernement. Le désespoir
qui engendre les querelles commençait à s’installer dans les troupes ; on
parlait de trahison.
Un jour, tandis que les chefs de
bannières discutaient très haut de ce que l’on n’avait pas fait, de ce que l’on
aurait dû faire, le jeune roi Édouard III réunit quelques écuyers
d’environ son âge, et promit la chevalerie ainsi qu’une terre d’un revenu de
cent livres à qui découvrirait l’armée d’Ecosse. Une vingtaine de garçons,
entre quatorze et dix-huit ans, se mirent à battre la campagne. Le premier qui
revint se nommait Thomas de Rokesby ; tout haletant et épuisé, il
s’écria :
— Sire Édouard, les Escots sont
à quatre lieues de nous dans une montagne où ils se tiennent depuis une
semaine, sans plus savoir où vous êtes que vous ne savez où ils sont !
Aussitôt, le jeune Édouard fit
sonner les trompes, rassembler l’armée dans une terre qu’on appelait « la
lande blanche », et commanda de courir aux Écossais. Les grands
tournoyeurs en étaient tout éberlués. Mais le bruit que faisait cette énorme ferraille
avançant par les montagnes parvint de loin aux hommes de Robert Bruce. Les
chevaliers d’Angleterre et de Hainaut, arrivant sur une crête, s’apprêtaient à
dévaler l’autre versant, lorsqu’ils aperçurent soudain toute l’armée écossaise,
à pied et rangée en bataille, les flèches déjà encochées dans la corde des
arcs. On se regarda de loin sans oser s’affronter, car le lieu était mal choisi
pour lancer les chevaux ; on se regarda pendant vingt-deux jours !
Comme les Écossais ne semblaient pas
vouloir bouger d’une position qui leur était si favorable, comme les chevaliers
ne voulaient pas livrer combat dans un terrain où ils ne pouvaient pas se
déployer, on demeura donc de part et d’autre de la crête, chaque adversaire
attendant que l’autre voulût bien se déplacer. On se contentait d’escarmoucher,
la nuit généralement, en laissant ces petites rencontres à la piétaille.
Le plus haut fait de cette étrange
guerre, que se livraient un octogénaire lépreux et un roi de quinze ans, fut
accompli par l’Écossais Jacques de Douglas qui, avec deux cents cavaliers de
son clan, fondit par une nuit de lune sur le camp anglais, renversa ce qui lui
barrait passage en criant « Douglas, Douglas ! », s’en vint
couper trois cordes à la tente du roi, et tourna bride. De cette nuit-là, les chevaliers
anglais dormirent dans leurs armures.
Et puis un matin, avant l’aurore, on
captura deux « trompeurs » de l’armée d’Ecosse, deux guetteurs qui
vraiment semblaient
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