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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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grave !
    — Madame la reine, déclara
Mortimer, considère avec raison, à cause des menées que vous savez, que la vie
de son époux met en péril la paix du royaume, et elle s’inquiète que Dieu tarde
tant à le rappeler à lui.
    Adam Orleton regarda Isabelle,
Isabelle regarda Mortimer, puis ramena les yeux vers l’évêque et fit un signe
d’assentiment. Orleton eut un bref sourire, non de cruauté, ni même vraiment
d’ironie, plutôt une expression de pudique tristesse.
    — Madame la reine se voit
placée devant le grand problème qui se pose toujours à ceux qui ont la charge
des États, répondit-il. Faut-il, pour ne point détruire une seule vie, risquer
d’en faire périr beaucoup d’autres ?
    Mortimer se tourna vers Isabelle, et
dit :
    — Vous entendez !
    Il était fort satisfait de l’appui
que lui portait l’évêque et regrettait simplement de ne pas avoir trouvé
lui-même cet argument.
    — C’est de la sauvegarde des
peuples qu’il s’agit là, reprit Orleton, et c’est à nous, évêques, qu’on
s’adresse pour éclairer les volontés divines. Certes, les Saints Commandements
nous interdisent de hâter toute fin. Mais les rois ne sont pas hommes
ordinaires, et ils s’exceptent eux-mêmes des Commandements lorsqu’ils
condamnent à mort leurs sujets… Je croyais toutefois, my Lord, que les gardiens
que vous avez nommés autour du roi déchu allaient vous épargner de vous poser
ces questions.
    — Les gardiens paraissent avoir
épuisé leurs ressources, répondit Mortimer. Et ils n’agiront pas plus avant
sans avoir reçu des instructions écrites.
    Orleton hocha la tête, mais ne
répondit point.
    — Or un ordre écrit, poursuivit
Mortimer, peut tomber en d’autres mains que celles auxquelles il est
destiné ; il peut également fournir une arme à ceux qui ont à l’exécuter
contre ceux qui le donnent. Me comprenez-vous ?
    Orleton sourit à nouveau. Le
prenait-on pour un niais ?
    — En d’autres mots, my Lord,
dit-il, vous voudriez envoyer l’ordre et ne pas l’envoyer.
    — Je voudrais plutôt envoyer un
ordre qui soit clair pour ceux qui doivent l’entendre, et qui demeure obscur à
ceux qui le doivent ignorer. C’est là-dessus que je veux me consulter avec vous
qui êtes homme de ressources, si vous consentez à m’apporter votre concours.
    — Et vous demandez cela, my
Lord, à un pauvre évêque qui n’a même pas de siège, ni de diocèse où planter sa
crosse ?
    Ce fut au tour de Mortimer de
sourire :
    — Allons, allons, my Lord
Orleton, ne parlons plus de ces choses. Vous m’avez beaucoup fâché, vous le
savez. Si vous m’aviez seulement averti de vos souhaits ! Mais puisque
vous y tenez tant, je ne m’opposerai plus. Vous aurez Worcester, c’est parole
dite… J’en ferai mon affaire avec le Parlement… Et vous êtes toujours mon ami,
vous le savez bien aussi.
    L’évêque hocha le front. Oui, il le
savait ; et lui-même gardait toujours autant d’amitié à Mortimer, et leur
brouille récente n’avait rien changé ; il suffisait qu’ils fussent face à
face pour en prendre conscience. Trop de souvenirs les liaient, trop de
complicités et une réciproque admiration. Ce soir même, dans la difficulté où
Mortimer se trouvait après avoir enfin arraché à la reine un consentement si
longtemps attendu, qui donc appelait-il ? L’évêque aux épaules tombantes,
à la démarche de canard, à la vue fatiguée par l’étude. Ils étaient même si
fort amis qu’ils en avaient oublié la reine qui les observait, de ses larges
yeux bleus, et se sentait mal.
    — C’est votre beau sermon
« Doleo caput meum », nul ne l’a oublié, qui a permis de déchoir le
mauvais roi, dit Mortimer. Et c’est vous encore qui avez obtenu l’abdication.
    Voilà que la gratitude
revenait ! Orleton s’inclina sous les compliments.
    — Vous voulez donc que j’aille
jusqu’au bout de la tâche, dit-il.
    Il y avait dans la chambre une table
à écrire, des plumes et du papier. Orleton réclama un couteau parce qu’il ne
pouvait écrire qu’avec une plume taillée par lui-même. Cela l’aidait à
réfléchir. Mortimer respectait sa méditation.
    — L’ordre n’a pas besoin d’être
long, dit Orleton au bout d’un moment.
    Il regardait en l’air, d’un air
amusé. Il avait visiblement oublié qu’il s’agissait de la mort d’un
homme ; il éprouvait un sentiment d’orgueil, une satisfaction de lettré qui
vient de

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