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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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m’appellent la Louve de France ! » Le saint n’est
jamais aussi saint, ni le cruel jamais aussi complètement cruel que les autres
le croient.
    Et puis Édouard, même déchu, était
un roi. Qu’on l’eût dépossédé, dépouillé, emprisonné, n’empêchait pas qu’il fût
personne royale. Et Isabelle était reine elle-même, et formée à l’être. Toute
son enfance, elle avait eu l’exemple de la vraie majesté royale, incarnée dans
un homme qui, par le sang et le sacre, se savait au-dessus de tous les autres
hommes, et se faisait connaître pour tel. Attenter à la vie d’un sujet, fût-il
le plus grand seigneur du royaume, n’était jamais qu’un crime. Mais l’acte de
supprimer une vie royale comportait un sacrilège et la négation du caractère
sacerdotal, divin, dont les souverains étaient investis.
    — Et cela, Mortimer, tu ne peux
le comprendre, car tu n’es pas roi, et tu n’es pas né d’un roi.
    Elle s’aperçut, trop tard, qu’elle
venait de penser tout haut.
    Le baron des Marches, le descendant
du compagnon de Guillaume le Conquérant, le Grand Juge du Pays de Galles, prit
rudement le coup. Il recula de deux pas, s’inclina.
    — Je ne pense pas que ce soit
un roi, Madame, qui vous ait rendu votre trône ; mais il paraît que c’est
perdre son temps que d’attendre que vous en conveniez. Comme de vous rappeler
que je descends des rois de Danemark qui n’ont pas dédaigné de donner l’une de
leurs filles à mon aïeul le premier Roger Mortimer. Mes efforts pour vous m’ont
acquis peu de mérite. Laissez donc vos ennemis délivrer votre royal époux, ou
bien, même, allez lui rendre la liberté de vos propres mains. Votre puissant
frère de France ne manquera pas alors de vous protéger, comme il le fit si bien
quand vous eûtes à fuir, soutenue par moi en votre selle, vers le Hainaut.
Mortimer, lui, n’étant point roi, et sa vie de la sorte n’étant pas protégée
contre une mésaventure de la fortune, s’en va, Madame, chercher refuge ailleurs
avant qu’il soit trop tard, hors d’un royaume dont la reine l’aime si peu qu’il
ne se sent plus rien à y faire.
    Sur quoi il gagna la porte. Il était
contrôlé dans sa colère ; il ne fit point battre le vantail de chêne mais
le repoussa lentement, et ses pas décrurent.
    Isabelle connaissait assez
l’orgueilleux Mortimer pour savoir qu’il ne reviendrait pas. Elle bondit hors
du lit, courut en chemise à travers les couloirs du château, rattrapa Mortimer,
le saisit par ses vêtements, se pendit à ses bras.
    — Demeure, demeure, gentil
Mortimer, je t’en supplie ! s’écria-t-elle sans se soucier qu’on
l’entendît. Je ne suis qu’une femme, j’ai besoin de ton conseil et de ton
appui ! Demeure ! demeure, de grâce, et agis ainsi que tu crois.
    Elle était en larmes et s’appuyait,
se blottissait contre ce torse, ce cœur sans lesquels elle ne pouvait vivre.
    — Je veux ce que tu veux !
dit-elle encore.
    Les serviteurs, attirés par le
bruit, étaient apparus et tout aussitôt se dissimulaient, gênés d’être témoins
de cette querelle d’amants.
    — Tu veux vraiment ce que je
veux ? demanda-t-il en prenant le visage de la reine entre ses mains.
Alors ! Gardes ! cria-t-il. Qu’on aille me quérir aussitôt
Monseigneur Orleton.
    Depuis quelques mois Mortimer et
Adam Orleton se battaient froid. Leur brouille stupide avait pour cause cet
évêché de Worcester attribué à Orleton par le pape, tandis que Mortimer le
promettait à un autre candidat. Que Mortimer n’avait-il su que son ami
souhaitait cet évêché ! Mais à présent, sa parole engagée, il ne voulait
plus se dédire. Le Parlement, saisi de la question, à York, avait décrété la
confiscation des revenus du diocèse de Worcester… Orleton, qui donc n’était
plus évêque de Hereford et ne l’était pas non plus de Worcester, jugeait bien
ingrat l’homme qu’il avait fait évader de la Tour. L’affaire demeurait en
débat, et Orleton continuait de suivre la cour dans ses déplacements.
    « Mortimer, quelque jour, aura
de nouveau besoin de moi, se disait-il, et alors il cédera. »
    Ce jour, ou plutôt cette nuit, était
arrivé. Orleton le comprit aussitôt qu’il eut pénétré dans la chambre de la
reine. Isabelle, recouchée, gardait des traces de larmes sur le visage.
Mortimer marchait à grands pas autour du lit. Pour qu’on se gênât si peu devant
le prélat, il fallait que l’affaire fût

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