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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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j’ai menacé d’en écrire au pape…
    La fureur avait empourpré le visage
de Mortimer. L’honneur et l’amour se trouvaient en lui également atteints.
Édouard était vraiment indigne d’être roi. Quand donc pourrait-on crier à tous
ses vassaux : « Sachez enfin qui est votre suzerain, et reprenez vos
serments ! » N’était-il pas injuste, quand le monde comptait tant de
femmes infidèles, qu’un tel homme ait épousé une femme de si haute vertu ?
N’eût-il pas mérité qu’elle se fût livrée à tout venant pour le honnir ?…
Mais était-elle absolument demeurée fidèle ? Quelque amour secret
n’avait-il pas traversé une si désespérante solitude ?
    — Et jamais vous ne vous êtes
abandonnée à d’autres bras ? demanda-t-il, d’une voix, déjà, de jaloux,
cette voix qui plaît tant aux femmes, au début d’un sentiment, et leur devient
si lassante à la fin d’une liaison.
    — Jamais, répondit-elle.
    — Pas même à votre cousin
Robert d’Artois, qui semblait ce matin montrer bien franchement qu’il était
épris de vous ?
    Elle haussa les épaules.
    — Vous connaissez mon cousin
d’Artois ; tout gibier lui est bon. Reine ou truande, pour lui c’est tout
un. Un jour lointain, à Westmoutiers, où je lui confiai mon esseulement, il
s’offrit à m’en consoler. Voilà tout. D’ailleurs, ne l’avez-vous pas
entendu : « Êtes-vous toujours aussi chaste, ma
cousine ?… » Non, gentil Mortimer, mon cœur est bien désolément vide…
et beaucoup las de l’être.
    — Ah ! Que n’ai-je osé,
Madame, vous dire depuis si longtemps que vous étiez l’unique dame de mes
pensées ! s’écria Mortimer.
    — Est-ce vrai, doux ami ?
Y a-t-il longtemps ?
    — Je crois. Madame, que cela
date de la première fois où je vous ai vue. Et j’en ai eu la lumière un jour, à
Windsor, où les larmes vous sont venues dans les yeux pour quelque honte que le
roi Édouard vous avait faite… Vous dirai-je qu’en ma prison, il ne fut de matin
ni de soir où je ne pensai à vous, et que ma première demande quand j’échappai
de la Tour…
    — Je sais, ami Roger, je
sais ; l’évêque Orleton me l’a dit. Et j’ai été joyeuse alors d’avoir
donné de ma cassette pour votre liberté ; non pour l’or, qui n’était rien,
mais pour le risque qui était grand. Votre évasion a fait recroître mes
tourments…
    Il s’inclina très bas,
s’agenouillant presque, pour marquer sa gratitude.
    — Savez-vous, Madame, reprit-il
d’un ton plus grave encore, que depuis que j’ai pris pied sur la terre de
France, j’ai fait vœu de me vêtir de noir tant que je n’aurais point retrouvé
l’Angleterre… et de ne toucher femme avant de vous avoir délivrée ?
    Il infléchissait un peu les termes
de son vœu et commençait à confondre la reine et le royaume. Mais de plus en
plus il s’apparentait, pour Isabelle, à Graëlent, à Perceval, à Lancelot…
    — Et vous avez tenu ce
vœu ? demanda-t-elle.
    — En doutez-vous ?
    Elle le remercia d’un sourire, d’une
buée qui monta à ses vastes yeux bleus, et d’une main tendue, d’une main
fragile qui alla se loger, comme un oiseau, dans la main du grand baron. Puis
leurs doigts s’ouvrirent, s’enlacèrent, se croisèrent…
    — Croyez-vous que nous ayons le
droit ? dit-elle après un silence. J’ai promis ma foi à un époux, si
mauvais qu’il soit. Et vous, de votre part, vous avez une épouse qui est sans
reproche. Nous avons contracté les liens devant Dieu. Et j’ai été si dure aux
péchés des autres…
    Cherchait-elle à se défendre contre
elle-même, ou voulait-elle qu’il prît le péché sur lui ?
    Il était assis, il se releva.
    — Ni vous, ni moi, ma reine,
n’avons été mariés par notre vouloir. Nous avons prononcé serment, mais pour
des choix que nous n’avions pas faits. Nous avons obéi à des décisions qui
étaient de nos familles, et non point à la volonté de notre cœur. Aux âmes
comme les nôtres…
    Il marqua une hésitation. L’amour
qui craint de se nommer pousse aux actions les plus étranges ; le désir
prend les plus hauts détours pour requérir ses droits. Mortimer était debout
devant Isabelle, et leurs mains restaient unies.
    — Voulez-vous, ma reine,
reprit-il, que nous nous afférions ? Voulez-vous accepter d’échanger nos
sangs pour qu’à jamais je sois votre soutien, et qu’à jamais vous soyez ma
dame ?
    Sa voix tremblait, de

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