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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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cheveux
blonds mélangés de blanc, auxquels l’âge avait donné une couleur délavée, dont
la maladie avait défrisé les rouleaux, et qui pendaient sans vie, le long des
joues et sur les coussins. L’amaigrissement, chez cet homme naguère gras et
sanguin, était impressionnant, mais moins toutefois que l’immobilité contractée
d’une moitié du visage, que la bouche un peu tordue dont un serviteur essuyait
régulièrement la salive, moins impressionnant que la fixité éteinte du regard.
Les draps brochés d’or, les courtines bleues semées de fleurs de lis qui,
drapées comme un dais, surmontaient le chevet, ne faisaient qu’accuser la déchéance
physique du moribond.
    Et lui-même, avant de recevoir tout
ce monde qui se pressait dans sa chambre, avait demandé un miroir, et il avait
un moment étudié ce visage qui impressionnait si fort, deux mois plus tôt, les
peuples et les rois. Que lui importaient à présent le prestige, la
puissance ? Où étaient donc les ambitions qu’il avait si longtemps
poursuivies ? Que signifiait cette satisfaction, si vivace naguère, de
marcher toujours le front levé entre des fronts baissés, depuis que sous ce
front s’était produit ce grand éclatement, ce grand basculement de tout ?
Et cette main sur laquelle serviteurs, écuyers et vassaux se jetaient pour en
baiser le dos et la paume, qu’était donc cette main morte le long de
lui-même ? Et l’autre main, qu’il commandait encore, dont il se servirait
tout à l’heure une dernière fois pour signer le testament qu’il allait dicter…
si une main gauche voulait bien se prêter à tracer les signes de
l’écriture !… cette main lui appartenait-elle davantage que le cachet
gravé dont il scellait ses ordres et qu’on ferait glisser de son doigt après
qu’il serait mort ?
    La jambe droite, totalement inerte,
semblait lui avoir déjà été reprise. Dans sa poitrine, par moments, se
produisait comme un vide de gouffre.
    L’homme est une unité pensante qui
agit sur les autres hommes et transforme le monde. Et puis, soudain, l’unité se
désagrège, se délie et qu’est-ce alors que le monde, et que sont les
autres ? L’important en cette heure, pour Monseigneur de Valois, ce
n’étaient plus les titres, les possessions, les couronnes, les royaumes, les
décisions du pouvoir, la primauté de sa personne parmi les vivants. Les
emblèmes de son lignage, les acquisitions de sa fortune, même les descendants
de son sang qu’il voyait autour de lui assemblés, tout cela pour lui avait
perdu valeur essentielle. L’important, c’était l’air de septembre, les
feuillages encore verts, avec déjà quelques roussissures et qu’il apercevait
par les fenêtres ouvertes, mais l’air surtout, l’air qu’il aspirait avec
difficulté et qui allait s’engloutir dans cet abîme qu’il portait au fond de la
poitrine. Tant qu’il sentirait l’air pénétrer dans sa gorge, le monde
continuerait d’exister avec lui en son centre, mais un centre fragile, pareil à
la fin de la flamme d’un cierge. Ensuite, tout cesserait d’être, ou plutôt tout
continuerait, mais dans l’ombre totale et l’effrayant silence, comme une
cathédrale existe quand le dernier cierge s’y est éteint.
    Valois se rappelait les grands
trépas de sa famille. Il réentendait les paroles de son frère Philippe le
Bel : « Regardez ce que vaut le monde. Voici le roi de
France ! » Il se souvenait des mots de son neveu Philippe le
Long : « Voyez votre souverain seigneur ; il n’est nul d’entre
vous, le plus pauvre fût-il, avec qui je ne voudrais échanger mon
sort ! » Il avait entendu ces phrases-là sans les comprendre ;
voilà donc ce qu’avaient éprouvé les princes ses parents au moment de passer
dans la tombe ! Il n’existait pas d’autres mots pour le dire, et ceux qui
avaient encore du temps à vivre étaient impuissants à le saisir. Chaque homme
qui meurt est le plus pauvre homme de l’univers.
    Et quand tout serait éteint,
dissous, délié, quand la cathédrale se serait emplie d’ombre, qu’allait-il
découvrir ce très pauvre homme, de l’autre côté ? Trouverait-il ce que lui
avaient appris les enseignements de la religion ? Mais qu’étaient-ils ces
enseignements, sinon d’immenses, d’angoissantes incertitudes ? Serait-il
traduit devant un tribunal ; quel était le visage du juge ? Et tous
les gestes de la vie, en quelle balance seraient-ils pesés ? Quelle peine
peut

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