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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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à qui sous chaque roi l’on retire le
droit de bourgeoisie pour nous le faire acquitter par bonne taxe, et même deux
fois si le règne est long. Voyez cependant ce que nous faisons pour les
royaumes ! L’Angleterre coûte à nos compagnies cent soixante-dix mille
livres, le prix de ses sacres, de ses guerres, de ses discordes, Madame !
Voyez mon vieil âge… Je me reposerais depuis bien longtemps si je n’avais à
courir sans cesse pour récupérer des créances qui nous resservent à aider
d’autres besoins. On nous dit avaricieux, avides, et l’on ne songe point aux
risques que nous prenons pour prêter à chacun et permettre aux princes de ce
monde de continuer leurs affaires ! Les prêtres s’occupent des petites
gens, de faire aumône aux mendiants, et d’ouvrir hôpitaux pour les
infortunés ; nous, nous nous occupons des misères des grands.
    Son âge lui permettait de s’exprimer
de la sorte, et la douceur de son ton était telle qu’on ne pouvait s’offenser
du discours. Tout en parlant, il lorgnait de son œil entrouvert un bijou qui
brillait au col de la reine et qui était inscrit à crédit, dans son livre, au
compte de Mortimer.
    — Comment notre négoce a-t-il
commencé ? Pourquoi existons-nous ? On ne se le remémore guère,
poursuivait-il. Nos banques italiennes se sont créées lors des croisades parce
que seigneurs et voyageurs répugnaient à se charger d’or sur les routes peu
sûres où l’on était dévalisé à tout propos, ou même dans les camps qui n’étaient
point hantés que de gens honnêtes. Et puis il y avait les rançons à payer.
Alors, pour que nous acheminions l’or à leur compte et à notre péril, les
seigneurs, et ceux d’Angleterre tout particulièrement, nous ont donné gages sur
les revenus de leurs fiefs. Mais quand nous nous sommes présentés dans ces
fiefs, avec nos créances, pensant que le sceau des grands barons devait être de
suffisante obligation, nous n’avons pas été payés. Alors, nous avons fait appel
aux rois, lesquels pour garantir les créances de leurs vassaux, ont en échange
exigé que nous leur prêtions, à eux aussi ; et voilà comment nos
ressources gisent dans les royaumes. Non, Madame, à mon grand meschef et
déplaisir, cette fois je ne puis.
    Le comte de Kent, qui assistait à
l’entretien, dit :
    — Soit, messire Tolomei. Nous
allons devoir donc nous adresser à d’autres compagnies que la vôtre.
    Tolomei sourit. Que croyait-il, ce
jeune homme blond qui se tenait assis, les jambes croisées, et caressait
négligemment la tête de son lévrier ? Porter sa clientèle ailleurs ?
Cette phrase-là, Tolomei, en sa longue carrière, l’avait entendue plus de mille
fois. La belle menace !
    — My Lord, quand il s’agit
d’aussi grands emprunteurs que vos personnes royales, vous pensez bien que
toutes nos compagnies se tiennent informées, et que le crédit qu’il me faut à
regret vous refuser, aucune autre compagnie ne vous l’accordera ; messer
Boccace, que vous voyez, est avec moi pour les besognes des Bardi.
Demandez-lui !… Car, Madame… (C’était toujours à la reine que Tolomei
revenait) cet ensemble de créances nous est devenu bien fâcheux par le fait que
rien ne les garantit. Au point où en sont arrivées vos affaires avec le Sire
roi d’Angleterre, celui-ci ne va point garantir vos dettes ! Ni vous les
siennes, je pense. À moins que vous soyez en intention de les reprendre à votre
compte ? Ah ! Si cela était, peut-être pourrions-nous encore vous
porter appui.
    Et il ferma complètement l’œil
gauche, croisa les mains sur son ventre, et attendit.
    Isabelle s’entendait peu aux questions
de finances. Elle leva les yeux vers Roger Mortimer. Comment fallait-il prendre
les dernières paroles du banquier ? Que signifiait, après si long palabre,
cette soudaine ouverture ?
    — Éclairez-nous, messer
Tolomei, dit-elle.
    — Madame, reprit le banquier,
votre cause est belle et celle de votre époux fort laide. La chrétienté sait
les traitements méchants qu’il vous a infligés, les mœurs qui noircissent sa
vie et le mauvais gouvernement qu’il impose à ses sujets par la personne de ses
détestables conseillers. En revanche, Madame, vous êtes aimée parce que vous
êtes aimable, et je gage qu’il ne manque pas de bons chevaliers en France et
ailleurs qui seraient prêts à lever leurs bannières pour vous et vous rendre
votre place en votre royaume… fût-ce boutant hors de

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