La Louve de France
des arbres
craquait dans les jardins ; des ormes se fendirent jusqu’au cœur. Les
portes de Paris connurent quelques grands dégâts, le froid ayant fait éclater
même les pierres. Des oiseaux de toutes sortes, qu’on ne voyait jamais dans les
villes, des geais, des pies, cherchaient leur nourriture sur le pavé des rues.
La tourbe de chauffage se vendit à prix double et l’on ne trouvait plus
fourrure dans les boutiques, ni une peau de marmotte, ni un ventre de
menu-vair, ni même une simple toison de mouton. Il mourut beaucoup de
vieillards et beaucoup d’enfants dans les demeures pauvres. Les pieds des
voyageurs gelaient dans leurs bottes ; les chevaucheurs délivraient leur
courrier avec des doigts bleus. Tout trafic fluvial était arrêté. Les soldats,
s’ils avaient l’imprudence d’ôter leurs gants, laissaient la peau de leurs
mains collée sur le fer des armes ; les gamins s’amusaient à persuader les
idiots de village de poser la langue sur un fer de hache. Mais ce qui devait
demeurer surtout dans les mémoires était une grande impression de silence parce
que la vie paraissait arrêtée.
À la cour, l’an neuf fut célébré de
façon assez discrète, en raison à la fois et du deuil et du gel. On s’offrit
néanmoins le gui, et l’on échangea les cadeaux rituels. Les comptes du Trésor
laissaient prévoir pour l’exercice qui se clôturerait à Pâques [39] un excédent de
recettes de soixante-treize mille livres – dont soixante mille provenaient
du traité d’Aquitaine – sur lequel Robert d’Artois se fit allouer huit
mille livres par le roi. C’était bien justice, puisque, depuis six mois, Robert
gouvernait le royaume pour le compte de son cousin. Il activa la nouvelle
expédition de Guyenne, où les armes françaises remportèrent une victoire
d’autant plus rapide qu’elles ne rencontrèrent pratiquement aucune résistance.
Les seigneurs locaux, qui essuyaient une fois de plus la colère du suzerain de
Paris contre son vassal de Londres, commencèrent à regretter d’être nés
Gascons.
Édouard, ruiné, endetté, et qui se
heurtait à des refus de crédit, n’avait plus les moyens d’expédier des troupes
pour défendre son fief ; il envoya des bateaux pour ramener sa femme.
Celle-ci venait d’écrire à l’évêque de Winchester afin qu’il en fit part à tout
le clergé anglais :
« Vous, ni autres de bon
entendement, ne devez croire que nous laissâmes la compagnie de notre seigneur
sans trop grave cause et raisonnable, et si ce ne fut pour un péril de notre
corps par ledit Hugh qui a le gouvernement de notre dit seigneur et de tout
notre royaume et nous voudrait déshonorer comme nous en sommes bien certaine pour
l’avoir éprouvé. Si longtemps que Hugh sera comme il est, tenant notre époux en
son gouvernement, nous ne pourrons rentrer au royaume d’Angleterre sans exposer
notre vie et celle de notre très cher fils à péril de mourir. »
Et cette lettre se croisa justement
avec les nouveaux ordres qu’au début de février Édouard adressait aux shérifs
des comtés côtiers. Il les informait que la reine et son fils, le duc
d’Aquitaine, envoyés en France dans un désir de paix, avaient, sous l’influence
du traître et rebelle Mortimer, fait alliance avec les ennemis du
royaume ; de ce fait, au cas où la reine et le duc d’Aquitaine
débarqueraient des nefs par lui, le roi, envoyées, et seulement s’ils
arrivaient avec de bonnes intentions, sa volonté était qu’ils fussent reçus
courtoisement, mais s’ils débarquaient de vaisseaux étrangers, et montrant des
volontés contraires aux siennes, l’ordre était de n’épargner que la reine et le
prince Édouard, pour traiter en rebelles tous les autres qui sortiraient des
navires.
Isabelle fit, par son fils, informer
le roi qu’elle était malade et hors d’état de s’embarquer.
Mais au mois de mars, ayant appris
que son épouse se promenait joyeusement dans Paris, Édouard II eut un
nouvel accès de violence épistolaire. Il semblait que ce fût chez lui une
affection cyclique qui le saisissait tous les trois mois.
Au jeune duc d’Aquitaine, il
écrivait ceci :
« Pour
faux prétexte, notre compagne votre mère se retire de nous, à cause de notre
cher et féal Hugh Le Despenser qui toujours nous a si bien et si loyalement
servi ; mais vous voyez, et tout chacun peut voir, qu’ouvertement,
notoirement, et s’égarant contre son devoir et contre l’état de
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