La Louve de France
notre couronne,
elle a attiré à soi le Mortimer notre traître et ennemi mortel, prouvé, atteint
et en plein Parlement jugé, et s’accompagne à lui en hôtel et dehors, en dépit
de nous et de notre couronne et des droitures de notre royaume. Et encore
fait-elle pis, si elle peut, quand elle vous garde en compagnie de notre dit
ennemi devant tout le monde, en très grand déshonneur et vilenie, et en
préjudice des lois et usages du royaume d’Angleterre que vous êtes
souverainement tenu de sauver et maintenir . »
Il mandait également au roi
Charles IV :
« Si votre sœur nous aimait et
désirait être en notre compagnie, comme elle vous a dit et en a menti, sauf
votre révérence, elle ne serait partie de nous sous prétexte de nourrir paix et
amitié entre nous et vous, toutes choses que je crus en bonne foi en l’envoyant
vers vous. Mais vraiment, très cher frère, nous nous apercevons assez qu’elle
ne nous aime mie, et la cause qu’elle donne, parlant de notre cher parent Hugh
Le Despenser, est feinte. Nous pensons que c’est désordonnée volonté quand, si
ouvertement et notoirement, elle retient en son conseil notre traître et ennemi
mortel le Mortimer, et s’accompagne en hôtel et dehors à ce mauvais. Aussi vous
devriez bien vouloir, très cher frère, qu’elle se châtiât et se comportât comme
elle devrait faire pour l’honneur de tous ceux à qui elle tient. Veuillez nous
faire connaître vos volontés de ce qu’il vous plaira de faire, selon Dieu,
raison et bonne foi, sans avoir regard à impulsions capricieuses de femmes ou
autre désir. »
Messages de même teneur étaient
envoyés à nouveau vers tous les horizons, aux pairs, aux dignitaires, aux prélats,
au pape lui-même. Les souverains d’Angleterre dénonçaient chacun l’amant de
l’autre, publiquement, et cette affaire de double ménage, de deux couples où se
trouvaient trois hommes pour une seule femme, faisait la joie des cours
d’Europe.
Les amants de Paris n’avaient plus
de ménagements à prendre. Plutôt que de chercher à feindre, Isabelle et
Mortimer firent front et se montrèrent ensemble en toutes occasions. Le comte
de Kent, que sa femme avait rejoint, vivait en compagnie du couple illégitime.
Pourquoi se serait-on soucié de respecter les apparences, dès lors que le roi
lui-même mettait tant d’ardeur à publier son infortune ? Les lettres
d’Édouard n’avaient réussi en somme qu’à établir l’évidence d’une liaison que
chacun accepta comme fait accompli et immuable. Et toutes les épouses infidèles
de penser qu’il existait une grâce particulière pour les reines, et qu’Isabelle
avait bien de la chance que son mari fût bougre !
Mais l’argent manquait. Plus aucune
ressource ne parvenait aux émigrés dont les biens avaient été séquestrés. Et la
petite cour anglaise de Paris vivait entièrement d’emprunts aux Lombards.
À la fin de mars, il fallut faire
appel, une fois de plus, au vieux Tolomei. Il arriva chez la reine Isabelle,
accompagné du signor Boccace qui représentait les Bardi. La reine et Mortimer,
avec une grande affabilité, lui exprimèrent leur besoin d’argent frais. Avec
une égale affabilité, et toutes les marques du chagrin, messer Spinello Tolomei
refusa. Il avait pour cela de bons arguments ; il ouvrit son grand livre
noir et montra les additions. Messire de Alspaye, le Lord de Cromwell, la reine
Isabelle… sur cette page-là, Tolomei fit une profonde inclination de tête… le
comte de Kent et la comtesse… nouvelle révérence… le Lord Maltravers, Lord Mortimer…
Et puis, sur quatre feuilles à la file, les dettes du roi Édouard Plantagenet
lui-même…
Roger Mortimer protesta : les
comptes du roi Édouard ne le concernaient pas !
— Mais, my Lord, dit Tolomei,
pour nous ce sont toujours, toutes ensemble, les dettes de l’Angleterre !
Je suis peiné de vous refuser, grandement peiné, et de décevoir si belle dame
que Madame la reine ; mais c’est trop me demander que d’attendre de moi ce
que je n’ai plus, et que vous avez. Car cette fortune, qu’on dit nôtre, elle
n’est faite ainsi que de créances ! Mon bien, my Lord, ce sont vos dettes.
Voyez, Madame, continua-t-il, en se tournant vers la reine, voyez, Madame, ce
que nous sommes, nous autres pauvres Lombards, toujours menacés, qui devons à
chaque roi nouveau payer un don de joyeux avènement… et combien en avons-nous
payés, hélas, depuis douze ans !…
Weitere Kostenlose Bücher