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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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écoulé.
    Guccio avait retrouvé
instinctivement son geste de jadis pour s’incliner en passant la porte basse qui
séparait les deux pièces de négoce du comptoir, au rez-de-chaussée. Sa main
avait cherché d’elle-même la corde d’appui, le long du madrier de chêne qui
servait d’axe à l’escalier tournant, pour monter à son ancienne chambre. Ainsi,
c’était là qu’il avait tant aimé, comme jamais avant, comme jamais
depuis !
    La pièce exiguë, collée sous les
solives du toit, sentait la campagne et le passé. Comment un logis si resserré
avait-il pu contenir un aussi grand amour ? Par la fenêtre, à peine une
fenêtre, une lucarne plutôt, il apercevait un paysage inchangé. Les arbres
étaient fleuris en ce début de mai, comme au temps de son départ, neuf ans plus
tôt. Pourquoi les arbres en fleurs dispensent-ils toujours une si forte
émotion ? Entre les branches des pêchers, roses et arrondies comme des
bras, apparaissait le toit de l’écurie, cette écurie dont Guccio s’était enfui
devant l’arrivée des frères Cressay ! Ah ! La belle peur qu’il avait
eue cette nuit-là !
    Il se retourna vers le miroir
d’étain, toujours à la même place sur le coffre de chêne. Chaque homme, au
souvenir de ses faiblesses, se rassure à se regarder, oubliant que les signes
d’énergie qu’il lit sur son visage ne font impression qu’à lui-même, et que
c’est devant les autres qu’il fut faible ! Le métal poli aux reflets de
grisaille renvoyait à Guccio le portrait d’un garçon de trente ans, brun, avec
une ride assez profondément creusée entre les sourcils, et deux yeux sombres
dont il n’était pas mécontent, car ces yeux là avaient vu déjà bien des
paysages, la neige des montagnes, les vagues de deux mers, et allumé le désir
dans le cœur des femmes, et soutenu le regard des princes et des rois.
    … Guccio Baglioni, mon ami, que
n’as-tu continué une carrière si bellement commencée ! Tu étais allé de
Sienne à Paris, de Paris à Londres, de Londres à Naples, à Lyon, à
Avignon ; tu portais messages pour les reines, trésors pour les prélats.
Pendant deux grandes années tu as circulé ainsi, parmi les plus grands
seigneurs de la terre, chargé de leurs intérêts ou de leurs secrets. Et tu
avais à peine vingt ans ! Tout te réussissait. Il n’est que de voir les
attentions dont on t’entoure à présent, au retour de neuf années d’absence,
pour juger des souvenirs que tu as laissés. Le Saint-Père lui-même te le
prouve. Aussitôt qu’il te sait de retour en Avignon pour un banal recouvrement
de créance, lui, le souverain pontife, du haut du trône de saint Pierre et
submergé par tant de tâches, il demande à te voir, il s’intéresse à ton sort, à
ta fortune, il a la mémoire de se rappeler que tu as eu un enfant jadis, il
s’inquiète de te savoir privé de cet enfant, il consacre à te conseiller
quelques-unes de ses précieuses minutes… « … Un fils doit être élevé par
son père », te dit-il ; et il te fait délivrer sauf-conduit de
messager papal, le meilleur qui soit.
    … Et Bouville ! Bouville que tu
viens trouver, porteur de la bénédiction du pape Jean, et qui te traite ainsi
qu’ami depuis longtemps attendu, et qui a de grosses larmes dans les yeux en te
voyant, et qui te délègue un de ses propres sergents d’armes pour t’accompagner
dans ta démarche, et te remet une lettre, cachetée de son sceau, adressée aux
frères Cressay, afin qu’on te laisse voir ton enfant !…
    Ainsi, les plus hauts personnages
s’occupaient de Guccio, sans aucun motif intéressé, pensait celui-ci,
simplement pour l’amitié qu’inspirait sa personne, pour l’agilité de son
esprit, et sans doute pour une certaine façon de se conduire avec les grands de
ce monde qui lui était un don de nature.
    Ah ! Que n’avait-il
persévéré ! Il aurait pu devenir l’un de ces grands Lombards, puissants
dans les États à l’égal des princes, comme Macci dei Macci, gardien actuel du
Trésor royal de France, ou bien comme Frescobaldi d’Angleterre qui entrait,
sans se faire annoncer, chez le chancelier de l’Échiquier.
    Était-il trop tard, après
tout ? Bien au fond de lui-même, Guccio se sentait supérieur à son oncle,
et capable d’une plus éclatante réussite. Car le bon oncle Spinello, à
froidement juger, faisait un négoce assez courant. Capitaine général des Lombards
de Paris, il l’était devenu à

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