La Louve de France
chevalier qui
franchit toutes les épreuves. Un tel homme peut partager un secret et en
demeurer le gardien. Et l’on n’a pas le droit non plus de lui mentir, de lui
laisser croire que son fils est vivant, qu’il le serre dans ses bras, alors que
ce n’est point vrai.
Marie saura expliquer à Guccio que
leur enfant, leur premier-né… car déjà cet enfant mort n’est plus dans sa
pensée que leur premier-né… a été, par un enchaînement fatal, donné, échangé,
pour sauver la vie du vrai roi de France. Et elle demandera à Guccio de
partager son serment, et ils élèveront ensemble le petit Jean le Posthume qui a
régné les cinq premiers jours de sa vie, jusqu’au moment où les barons
viendront le chercher pour lui rendre sa couronne ! Et les autres enfants
qu’ils auront seront un jour comme des frères pour le roi de France. Puisque
tout peut arriver dans le mal, par les agencements incroyables du sort,
pourquoi tout ne pourrait-il pas arriver dans le bien ?
Voilà ce que Marie expliquera à
Guccio, dans quelques jours, la semaine prochaine, lorsqu’il ramènera Jeannot
ainsi qu’il en est convenu avec les frères.
Alors le bonheur si longtemps
différé pourra commencer ; et si toute chose heureuse sur la terre doit
être payée d’un poids égal de souffrance, alors ils auront l’un et l’autre payé
par avance toutes leurs joies futures ! Guccio voudra-t-il s’installer à
Cressay ? Certes pas. À Paris ? Le lieu serait trop dangereux pour le
petit Jean, et il ne faudrait point tout de même aller braver de trop près le
comte de Bouville ! Ils iront en Italie. Guccio emmènera Marie dans ce
pays dont elle ne connaît que les belles étoffes et l’habile travail des
orfèvres Comme elle l’aime, cette Italie, puisque c’est de là qu’est venu
l’homme que Dieu lui destinait ! Marie est déjà en voyage aux côtés de son
époux retrouvé. Dans une semaine ; elle a une semaine à attendre…
Hélas ! En amour, il ne suffit
pas d’avoir les mêmes désirs : faut-il encore les exprimer au même
moment !
III
LA REINE DU TEMPLE
Pour un enfant de neuf ans dont tout
l’horizon, depuis qu’il avait l’âge de se souvenir, avait été limité par un
ruisseau, des fosses à fumier et des toits de campagne, la découverte de Paris
ne pouvait être qu’un enchantement. Mais que dire quand cette découverte
s’accomplissait sous la conduite d’un père si fier, si glorieux de son fils, et
qui le faisait habiller, friser, baigner, oindre, qui l’amenait dans les plus
belles boutiques, le gavait de sucreries, lui offrait une bourse de ceinture,
avec de vrais sols dedans, et des souliers brodés ! Jeannot, ou Giannino,
vivait des jours éblouis.
Et toutes ces belles maisons où il
pénétrait ! Car Guccio, sous des prétextes divers, souvent même sans aucun
prétexte, visitait à tour de rôle ses connaissances d’antan, simplement pour
pouvoir prononcer orgueilleusement : « mon fils ! », et
montrer ce miracle, cette splendeur unique au monde : un petit garçon qui
lui disait : « padre mio » avec un bon accent d’Ile-de-France.
Si l’on s’étonnait de la blondeur de
Giannino, Guccio faisait allusion à la mère, une personne de noblesse ; il
prenait alors ce ton faussement discret qui annonce l’indiscrétion et cet air
un peu fanfaron dans le mystère qu’ont les Italiens pour feindre de se taire
sur leurs conquêtes. Ainsi tous les Lombards de Paris, les Peruzzi, les
Boccanegra, les Macci, les Albizzi, les Frescobaldi, les Scamozzi, et le signor
Boccace lui-même étaient au courant.
L’oncle Tolomei, un œil ouvert, un
œil fermé, le ventre pesant et la jambe lourde, ne participait pas peu à cette
ostentation. Ah ! si Guccio avait pu se réinstaller à Paris, sous son
toit, et avec le petit Giannino, comme il se serait senti heureux, le vieux
Lombard, pour les jours qui lui restaient à vivre.
Mais c’était là un rêve impossible.
Pourquoi ne voulait-elle pas de régularisation du mariage, pourquoi ne
voulait-elle pas accepter la vie commune avec son époux, cette sotte, cette
entêtée de Marie de Cressay, puisque maintenant tout le monde semblait
d’accord ? Tolomei, quelque répugnance qu’il éprouvât à entreprendre le
moindre déplacement, s’offrait à aller à Neauphle tenter une ultime démarche.
— Mais c’est moi qui ne veux
plus d’elle, mon oncle, déclarait Guccio. Je ne laisserai pas bafouer mon
honneur. Et
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