La Louve de France
Jeannot leva vers lui des yeux
bleus étonnés :
— Mais on m’avait dit qu’il
était mort ? dit-il.
Guccio en eut un choc ; une
grande fureur mauvaise s’éleva en lui.
— Mais non, mais non, se hâta
de couper Jean de Cressay. Il était en voyage et ne pouvait envoyer de
nouvelles. N’est-il pas vrai, ami Guccio ?
« De combien de mensonges ne
l’a-t-on pas abreuvé ! pensa Guccio. Patience, patience… Lui dire que son
père était mort, ah ! Les méchantes gens ! Mais patience… » Pour
meubler le silence, il dit :
— Comme il est blond !
— Oui, tout à fait semblable à l’oncle
Pierre, le frère de notre défunt père, répondit Jean de Cressay.
— Jeannot, viens vers moi,
viens, dit Guccio.
L’enfant obéit, mais sa petite main
rugueuse restait étrangère dans la main de Guccio, et il s’essuya la joue après
avoir été embrassé.
— Je souhaiterais le garder
quelques jours avec moi, reprit Guccio, afin de pouvoir le conduire à mon oncle
Tolomei, qui désire le connaître.
Et ce disant, Guccio avait
machinalement, comme Tolomei, fermé l’œil gauche.
Jeannot, la bouche entrouverte, le
regardait. Que d’oncles ! Autour de lui, on n’entendait parler que de
cela.
— Moi, j’ai un oncle à Paris
qui m’envoie des présents, dit-il d’une voix claire.
— C’est justement celui-ci que
nous irons visiter. Si tes oncles n’y voient pas d’obstacles. Vous n’y voyez
pas d’obstacles ? demanda Guccio.
— Certes non, répondit Jean de
Cressay. Monseigneur de Bouville nous en prévient dans sa lettre, et nous
engage à ne point nous opposer…
Décidément les Cressay ne bougeaient
pas le doigt sans l’accord de Bouville !
Le barbu pensait déjà aux cadeaux
que le banquier ne manquerait pas de faire à son petit-neveu. Il fallait
s’attendre à une bourse d’or qui serait particulièrement bienvenue, car
justement, cette année-là, la maladie s’était mise sur le bétail. Et qui sait ?
Le banquier était vieux ; peut-être avait-il l’intention de coucher
l’enfant sur ses volontés…
Guccio savourait déjà sa vengeance.
Mais la vengeance a-t-elle jamais consolé d’un amour perdu ?
L’enfant fut d’abord ébloui par le
cheval et le harnachement papal. Jamais il n’avait vu si belle monture, et sa
surprise fut grande de s’y trouver juché, sur le devant de la selle. Puis il se
mit à observer ce père tombé du ciel, ou plutôt les détails qu’il en pouvait
apercevoir en se penchant ou en tordant le cou. Il regardait les chausses
collantes qui ne faisaient aucun pli sur le genou, les bottes souples de cuir
foncé, et cet étrange vêtement de voyage, couleur de feuilles rousses, à
manches étroites, et fermé jusqu’au menton par une série de minuscules boutons.
Le sergent d’armes avait une tenue
bien plus éclatante, bien plus flatteuse par sa couleur gros bleu luisant sous
le soleil, ses découpures festonnées aux manches et sur les reins, et ses armes
seigneuriales brodées sur la poitrine. Mais l’enfant se rendit compte bien vite
que Guccio donnait des ordres au sergent, et il prit grande considération pour
ce père qui parlait en maître à un personnage si brillamment vêtu.
Ils avaient parcouru déjà près de
quatre lieues. Dans l’auberge de Saint-Nom-la-Bretèche où ils s’arrêtèrent,
Guccio, d’une voix naturellement autoritaire, commanda une omelette aux herbes,
un chapon rôti sur broche, du fromage caillé. Et du vin. L’empressement des
servantes augmenta encore le respect de Jeannot.
— Pourquoi parlez-vous d’autre
façon que nous, messire ? demanda-t-il. Vous ne dites point les mots
pareillement.
Guccio se sentit blessé de cette
remarque faite sur son accent de Toscane, et par son propre fils.
— Parce que je suis de Sienne,
en Italie qui est mon pays, répondit-il avec fierté ; et toi aussi, tu vas
devenir siennois, libre citoyen de cette ville où nous sommes puissants. Et
puis, ne m’appelle plus messire, mais padre.
— Padre, répéta docilement le
petit.
Ils s’attablèrent, Guccio, le
sergent et l’enfant. Et tandis qu’on attendait l’omelette, Guccio commença
d’apprendre à Jeannot les mots de sa langue pour désigner les objets de la vie.
— Tavola, disait-il en
saisissant le bord de la table, bottiglia, en soulevant la bouteille, vino…
Il se sentait embarrassé devant cet
enfant, manquait de naturel ; la crainte de ne pas s’en faire aimer
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