La Louve de France
puis quelle plaisance y aurait-il à vivre auprès d’une femme qui ne
m’aime plus ?
— En es-tu bien sûr ?
Il y avait un signe, un seul, qui
pouvait permettre à Guccio de se poser la question. Il avait reconnu au cou de
l’enfant le petit reliquaire de corps à lui-même offert par la reine Clémence
quand il se trouvait en l’hôtel-Dieu de Marseille, et dont il avait à son tour
fait présent à Marie, une fois qu’elle était fort malade.
— Ma mère l’a ôté de son cou et
l’a passé au mien, quand mes oncles m’ont mené vers vous l’autre matin, avait
expliqué l’enfant.
Mais pouvait-on se fonder sur un si
faible indice, sur un geste qui pouvait n’être que de religiosité ?
Et puis le comte de Bouville avait
été formel.
— Si vous voulez garder cet
enfant, il faut que vous partiez avec lui pour Sienne, et le plus tôt sera le
mieux, avait-il dit à Guccio.
L’entrevue avait eu lieu en l’hôtel
de l’ancien grand chambellan, derrière le Pré-aux-Clercs. Bouville se promenait
dans son jardin clos de murs. Et les larmes lui étaient venues aux paupières en
voyant Giannino. Il avait baisé la main du petit garçon avant de le baiser aux
joues et, le contemplant, le détaillant des cheveux aux souliers, il avait
murmuré :
— Un vrai petit prince, un vrai
petit prince !
En même temps, il s’essuyait les
yeux. Guccio était étonné de cette émotion excessive, et il en était touché
comme d’un hommage d’amitié à lui-même rendu.
— Un vrai petit prince, comme
vous le dites, messire, avait répondu Guccio tout heureux ; et c’est chose
bien surprenante quand on songe qu’il n’a connu que la vie des champs et que sa
mère, après tout, n’est qu’une paysanne !
Bouville hochait la tête. Oui, oui, tout
cela était bien étonnant…
— Emmenez-le, vous ne pouvez
mieux faire. D’ailleurs, n’avez-vous pas l’auguste approbation de notre Très
Saint-Père ? Je vous ferai donner cette fois deux sergents pour vous
accompagner jusqu’aux frontières du royaume, afin qu’aucun mal ne vous
survienne, ni à… cet enfant.
Il ne lui semblait pas aisé de
prononcer : « votre fils ».
— Adieu, mon petit prince,
dit-il en embrassant encore Giannino. Vous reverrai-je jamais ?
Et puis il s’éloigna très vite,
parce que les pleurs recommençaient à abonder dans ses gros yeux. Vraiment, cet
enfant ressemblait trop douloureusement au grand roi Philippe !
— Retourne-t-on à
Cressay ? demanda Giannino le matin du 11 mai, devant les portemanteaux et
les malles de bât qu’on emplissait. Il ne paraissait pas trop impatient de
rentrer au manoir.
— Non, mon fils, répondit
Guccio, nous allons d’abord à Sienne.
— Ma mère va-t-elle venir avec
nous ?
— Non, pas à présent ;
elle nous rejoindra plus tard.
L’enfant parut tranquillisé. Guccio
pensa qu’après neuf ans de mensonges au sujet de son père, Giannino allait
maintenant être abreuvé de nouveaux mensonges à propos de sa mère. Mais comment
agir autrement ? Un jour peut-être faudrait-il lui laisser croire que sa
mère était morte…
Avant de se mettre en route, il
restait à Guccio une visite à faire, la plus prestigieuse sinon la plus
importante ; il désirait saluer la reine douairière Clémence de Hongrie.
— Où est-ce donc, la
Hongrie ? demanda l’enfant.
— Très loin, du côté du Levant.
Il faut de nombreuses semaines de route pour y parvenir. Peu de gens y sont
allés.
— Pourquoi est-elle à Paris,
cette dame Clémence, si elle est reine de Hongrie ?
— Mais elle n’a jamais été
reine de Hongrie, Giannino ; son père en fut roi, mais elle, elle a été
reine de France.
— Alors, c’est la femme du roi
Charles le Biau ?
Non, la femme du roi c’était Madame
d’Évreux, qu’on couronnait ce jour même ; et l’on irait d’ailleurs, tout à
l’heure, au palais royal, donner un coup d’œil sur la cérémonie à la
Sainte-Chapelle, afin que Giannino partît sur un dernier souvenir plus beau que
tous les autres. Guccio, l’impatient Guccio, n’éprouvait ni ennui ni lassitude
à expliquer à cette petite cervelle des choses qui semblaient évidentes et ne
l’étaient nullement, si l’on ne les savait pas de longtemps. C’est ainsi que se
fait l’apprentissage du monde.
Mais cette reine Clémence qu’on
allait voir, qui était-elle alors ? Et comment Guccio la
connaissait-il ?
De la rue des Lombards au
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