La Louve de France
enfant de l’âge qu’aurait eu le sien, et qui avait
sucé le même lait.
La voix du sang ne parlait guère,
mais seulement celle du malheur.
Et puis le jour était peut-être mal
choisi, alors que Clémence allait assister au couronnement d’une troisième
reine de France depuis elle ! Elle s’obligea par politesse à
demander :
— Que fera-t-il quand il sera
grand, ce bel enfant ?
— Il tiendra banque, Madame, je
l’espère du moins, comme nous tous.
La reine Clémence croyait que Guccio
venait lui réclamer une créance ou le paiement de quelque coupe d’or, de
quelque joyau dont elle se fût fournie chez son oncle. Elle avait une telle
habitude de ces réclamations de fournisseurs ! Elle fut surprise quand
elle comprit que ce jeune homme s’était dérangé seulement pour la voir.
Existait-il donc encore des gens qui la venaient saluer sans rien avoir à
requérir d’elle, ni remboursement ni service ?
Guccio dit à l’enfant de montrer à
Madame la reine le reliquaire qu’il portait au cou. La reine ne se souvenait
plus, et Guccio dut lui rappeler la visite qu’elle lui avait faite à
l’hôtel-Dieu de Marseille. Elle pensa : « Ce jeune homme m’a aimée. »
Consolation illusoire des femmes
dont la destinée amoureuse s’est arrêtée trop tôt, et qui ne sont plus
attentives qu’aux signes des sentiments qu’elles ont pu inspirer
autrefois !
Elle se pencha pour embrasser
l’enfant. Mais Giannino se ragenouilla aussitôt, et lui baisa la main.
Elle chercha autour d’elle, d’un
mouvement presque machinal, un cadeau à faire, aperçut une boîte de vermeil et
la tendit à l’enfant en disant :
— Tu aimes sûrement les
dragées ? Conserve ce drageoir et que Dieu te garde !
Il était temps de se rendre à la
cérémonie. Elle monta en litière, ordonna de clore les rideaux blancs, et puis
fut prise d’un mal d’être qui lui venait de tout le corps, de la poitrine, des
jambes, du ventre, de toute cette beauté inutile ; elle put enfin pleurer.
Dans la rue du Temple la foule était
nombreuse qui se dirigeait vers la Seine, vers la Cité, pour aller saisir
quelques bribes du couronnement, et qui ne verrait sans doute rien d’autre
qu’elle-même.
Guccio, prenant Giannino par la
main, se mit à la suite de la litière blanche, comme s’il faisait partie de
l’escorte de la reine. Ils purent ainsi franchir le Pont-au-Change, pénétrer
dans la cour du Palais, et là s’arrêter pour voir passer les grands seigneurs
qui entraient, en costume d’apparat, dans la Sainte-Chapelle. Guccio les
reconnaissait pour la plupart et pouvait les nommer à l’enfant : la
comtesse Mahaut d’Artois, encore grandie par sa couronne, et le comte Robert,
son neveu, qui la dépassait en taille ; Monseigneur Philippe de Valois,
maintenant pair de France, avec à son côté sa femme qui boitait ; et puis
Madame Jeanne de Bourgogne, l’autre reine veuve. Mais quel était ce jeune
couple, dix-huit et quinze ans environ, qui venait ensuite ? Guccio se
renseigna auprès de ses voisins. On lui répondit que c’était Madame Jeanne de
Navarre et son mari Philippe d’Évreux. Eh oui ! La fille de Marguerite de
Bourgogne avait maintenant quinze ans, et elle était mariée, après tant de
drames dynastiques autour et à cause d’elle suscités.
La presse devint telle que Guccio
dut hisser Giannino sur ses épaules ; il y pesait lourd le petit
diable !
Ah ! voici que s’avançait la
reine Isabelle d’Angleterre, rentrée du Ponthieu. Guccio la trouva étonnamment
peu changée depuis qu’il l’avait entrevue autrefois à Westminster, le temps de
lui délivrer un message de Robert d’Artois. Pourtant il se la rappelait plus
grande… Sur le même rang marchait son fils, le jeune Édouard d’Aquitaine. Et
toutes les têtes se tendaient parce que la traîne du manteau ducal du jeune
homme était portée par Lord Mortimer, comme si celui-ci eût été le grand
chambellan du prince. Un défi de plus lancé au roi Édouard. Lord Mortimer
présentait un visage victorieux, mais moins toutefois que le roi Charles le
Bel, auquel on n’avait jamais vu figure si resplendissante, parce que la reine
de France, cela se chuchotait, était enceinte de deux mois, enfin ! Et son
couronnement officiel, jusque-là différé, constituait un remerciement.
Giannino se pencha soudain sur
l’oreille de Guccio :
— Padre, padre mio, dit-il, le
gros seigneur qui m’a embrassé l’autre
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