La lumière des parfaits
dans lequel baignait un assortiment de sandres, de saumon et de lamproie, parfumé aux graines pillées et au cumin, en avant bouche.
S’en étaient suivis un pâté payen composé de viandes cuites, de lard haché, de pommes et d’œufs frais, des anguilles et du gibier aux poires sucrées, accompagné de pain d’épices pour lier la farce.
Lors du souper, le surlendemain, veille de notre départ prévu le 25 e jour du mois de novembre, nous nous étions offert un dernier plaisir de bouche dans une autre taverne qui arborait les armes de l’ordre du Temple, sise à proximité d’une ancienne commanderie. Le menu du monastère prévoyait ce soir-là, de maigres harengs de la mer Baltique, plat habituellement réservé aux jours de carême. Moins goûteux que cette oie fafelue de dix livres, rôtie, désossée et pelée, qu’on nous servit dans sa graisse…
Sortis de table vers le milieu de l’après-midi, nous avions sillonné la ville à pied jusqu’à la tombée du jour et tenté d’en comprendre les mœurs, les coutumes et les usages. Sans succès en si peu de temps. Tout au plus, avions-nous appris à découvrir une façon de vivre et de jouir de la vie que nous ignorions jusqu’alors.
D’aucuns n’avaient pas manqué de surcharger nos baguages en négociant à mauvais prix des babioles ou des objets étranges qui n’étaient pas parvenus jusqu’à nos échoppes périgordines. Faute de négociants pour en faire commerce aussi lointain. Nous avions dû, Foulques et moi, freiner bien des tentations lorsque les bourses se débougettaient trop promptement.
Après être passés à confesse en la cathédrale et avoir dormi une dernière nuit sur les paillasses de crin, dans la partie de l’hôtellerie du monastère réservée aux pèlerins, frais et dispos, nous avions quitté la riche cité munichoise sous une pluie fine et pénétrante, le cœur en sautoir, le ventre plein et des vivres en abondance dans nos bissacs. Le chevalier teutonique nous l’avait vivement conseillé avant de poursuivre notre route : les étapes gastronomiques se feraient de plus en plus rares et les menus qui nous attendaient à Marienbourg, plus austères…
En la ville de Prague, nous nous esclipâmes sur un bac pour franchir le fleuve Danube aux eaux destourbes d’un glauque tourbillonnant par endroits, en maintenant fermement nos chevaux par le licol. Nous fûmes ainsi hâlés, pour passer d’une rive à l’autre, par de solides gaillards qui rouillaient à mains nues un câble de traille. Un fort vent de norois projetait des gerbes d’écume contre la barge et nous ciglait le visage d’autant d’aiguilles glaciales. La rigueur de l’hiver nous saisissait en ces terres lointaines. Nous ignorions tout de leur rigueur en Prusse orientale.
Nous regrâciâmes nos bateleurs par quelques marks d’argent, resserrâmes les sangles ventrales de nos destriers et reprîmes notre route vers le Nord, les pieds au sec dans nos bottes fourrées, les doigts engourdis dans nos gantelets de cuir pourtant généreusement graissés (à la graisse d’oie, bien sûr).
Un mois durant, nous chevauchâmes vers notre destinée, logeant parfois dans des coupe-gorge, de misérables étables, sur le foin, baignés dans un parfum âcre d’orine, de bouses ou de crotins, ou sur un maigre lit de paille dans de glaciales chapelles.
Pour tuer le temps, lorsque nos membres n’étaient pas trop fourbus, j’invitais mes compains de route à jouer, selon leurs affinités, à des jeux de cartes, aux dés ou aux échecs, à des parties de tric-trac. Histoire de remonter le moral chancelant de nos écuyers et de nos valets qui commençaient à se demander par quelle idée saugrenue ils avaient choisi de quitter la douceur aquitaine pour partir en pèlerinage au pays des Teutons. Raymond de Carsac, Foulques et moi lisions dans leurs pensées.
Au matin du 12 novembre, à l’approche des ides, sous l’effet du froid et de la neige, j’étais transporté huit ans plus tôt en la vallée de la Beune. Dans une vie antérieure. Lors de ce songe étonnant qui devait me guider depuis lors. Au péril de ma vie.
Lorsque j’entrevis sur une bague les armes de celle dont je devais apprendre plus tard, de la bouche d’un héraut d’armes de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, lors d’un lointain voyage en l’île d’Aphrodite, qu’elle existait en ce monde. Avant que feu le baron Fulbert Pons de Beynac ne reconnût
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