La lumière des parfaits
ces lieux navrés par une méchante chevauchée.
Dans ce hameau où les masures étaient calcinées, les habitants passés au fil de l’épée ou, dans le meilleur des cas, conduits en esclavage, il n’y avait plus aucun signe de vie.
Seuls quelques charognards s’envolèrent dans un lourd battement d’ailes à notre approche. Le clair de lune, dans un ciel dégagé où plus aucun flocon ne tourbillonnait, nous guida vers la seule bâtisse épargnée par le sort, tels des rois mages en piteux état, trempés jusqu’aux os, malgré bottes et pelisses fourrées : la chapelle avait été pillée, profanée par une bande de mécréants sanguinaires. Mais point brûlée. Quelques tresses de paille jonchaient encore le sol, à la recueillette.
Nous étrillâmes nos chevaux, palefreniers, écuyers, archers ou chevaliers, sans distinction de rang. Quelques brindilles pour allumer un feu sur le parvis, de crainte des loups, et après un frugal souper arrosé d’un godet de vin de Bohème, nous tombâmes sur la paille qui était autrefois déposée pour les voyageurs de passage.
Sitôt étendu, Foulques de Montfort et mes compains de route, enveloppés dans de chaudes pelisses, ronflaient déjà avec sonore volupté, tandis que je prenais le premier tour de garde, l’épée desforée, un arc et un carquois à portée de main.
Un pâle soleil d’hiver découpait, loin devant, sur une plaine recouverte d’une fine couche de neige, les murs de ce qui ne pouvait être que la formidable forteresse de Marienbourg. Le but de notre Grand Voyage. Le début de nos souffrances.
La boîte à messages que la comtesse Mathilde m’avait offerte contenait un sceau que je devrais présenter au grand maître de l’Ordre, Winrich von Kniprode. Elle m’avait certifié qu’il devrait m’ouvrir les portes de la grande librairie, dont l’accès était habituellement réservé aux dignitaires, grands maîtres, commandeurs, maréchaux et trésoriers.
J’espérais, en effet, y puiser des informations uniques sur les relations entre les trois ordres de chevalerie, de la conquête de la Terre sainte jusqu’à la chute de Saint-Jean d’Acre, soixante-dix ans plus tôt, sur le véritable pouvoir des fioles supposées contenir l’Eau et le Sang du Christ (ou la pestilence), sur la disparition mystérieuse du Trésor du Temple et du Livre sacré, sans oublier les relations que certaines commanderies templières avaient pu entretenir avec les hérétiques albigeois avant et après la sinistre intervention des chevaliers de langue d’oïl ordonnée par le pape et conduite par Simon de Montfort.
Alors, si le Dieu du Bien le voulait…
Sur la vaste plaine, nous longeâmes un chemin de halage jusqu’aux deux énormes tours coiffées qui commandaient l’entrée principale de la puissante forteresse. Elle était édifiée sur la rive droite de la rivière Nogat, bras de la basse Vistule, à quatre lieues en amont de la commanderie d’Elbing, sur une terrasse calcaire qui surplombait la rivière de dix toises. Une pellicule de neige se prélassait sur la toiture du chemin de ronde. Il encerclait de vastes et hauts bâtiments de briques rouges, pareillement coiffés de hautes toitures fortement pentues. L’ensemble était entouré de fossés et d’enceintes pourvues de nombreuses autres tours et échauguettes.
N’eût été la hauteur considérable des murs, par sa superficie l’ensemble des fortifications ressemblait à celles d’un gros bourg solidement remparé. Tout alentour, le paysage était figé pour l’éternité, nous sembla-t-il.
Des cris affolés, ceux d’un vol d’oiseaux aux pieds palmés, à la queue fourchue et au plumage teinté de gris nous firent lever les yeux vers le ciel argenté. Des pétrels de tempête se hâtaient vers le sud, annonciateurs d’une bourrasque en provenance de la mer Baltique dont les côtes se découpaient à moins de six lieues, vers le nord.
À l’approche de la barbacane, nous mîmes tous pied à terre. Tenant mon destrier par la bride, je tendis à un sergent revêtu d’un long mantel gris à la croix de sable, celui des frères-servants de l’Ordre de Sainte-Marie des Allemands de Jérusalem, notre sauf allant et venant, notre ordre de mission contresigné par le grand maître et par monseigneur Élie de Salignac, évêque de Sarlat.
Sans dire mot, le garde nous planta là sous l’œil indifférent de deux autres gens d’armes à la stature impressionnante qui
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