La lumière des parfaits
qu’elle était de mon sang : Isabeau de Guirande, ma sœur par le cœur, ma demi-sœur par ma mère.
La neige tombait à gros flocons devant l’entrée de la grotte où ma jument et moi avions trouvé refuge. Toujours en songe. Redoutant que le froid et la faim, faute de secours, ne nous fassent passer les pieds outre.
Isabeau de Guirande, je ne l’avais encore jamais vue en vérité. Je pistais sa trace, avec opiniâtreté, sans complaisance pour tous ceux qui avaient tenté de tisser une conspiration du silence. Sans pitié pour les traîtres et les félons qui avaient attenté à ma vie. Une vie qui valait moins aux yeux d’aucuns que celle d’un chapon promis à un repas de fête.
J’avais surmonté embûches et chausse-trappes. De villes en forteresses. De châteaux en bourgades. De Nicosie à Castelnaud. De Castelnaud à Sarlat. De Sarlat à Marienbourg. Et demain, si Dieu me prêtait vie, en la forteresse de Largoët, sise près la ville de Vannes où s’était mystérieusement retranché celui qui avait été mon meilleur compain. Arnaud de la Vigerie. Si je prêtais foi aux dires de monseigneur Élie de Salignac, évêque de Sarlat.
Car ce Grand Voyage d’hiver vers le siège de l’Ordre de Sainte-Marie des Teutoniques dans lequel j’avais entraîné Foulques de Montfort, Raymond de Carsac, nos écuyers et nos valets d’armes, était moins motivé, à leur insu, par la foi ou l’indulgence plénière pour la rémission de tous nos péchés (j’en avais commis récemment un, mortel pour mon âme) que par ma quête personnelle.
Pour percer le mystère des relations qu’avaient certainement entretenues, plus de cent cinquante ans plus tôt, les chevaliers de l’Ordre du Temple de Salomon en certaines de leurs commanderies d’Aquitaine et les seigneurs convaincus d’hérésie albigeoise.
Pour élucider deux autres mystères, celui de la disparition du Livre sacré dont on avait perdu la trace depuis que les chevaliers de Mirepoix et de Morency les avaient acheminés avec le fabuleux trésor de leur communauté vers la Montagne noire, en février de l’an de disgrâce 1243, d’une part.
Et, d’autre part, celui de cet azimut 31.47 qui était mentionné dans l’étrange énigme de ce parchemin templier que j’avais découvert, par le plus grand des hasards, caché à l’intérieur de la couverture à ais de bois d’un codex.
Le chevalier teutonique qui nous avait recruté pour ce pèlerinage en pays prussien ne m’avait-il pas laissé entendre que j’en connaîtrais la signification lorsque je serais rendu à Marienbourg ? Au siège de son Ordre ?
Sans parler du trésor du Temple, disparu peu avant l’arrestation desdits chevaliers dans toutes les commanderies, le vendredi 13 octobre de l’an 1307. Sur ordre donné par le roi Philippe, quatrième du nom, à tous les baillis et prévôts du royaume de France.
Mais, à la parfin, quelle était la véritable nature de ces trésors qui poussaient autant de grands et de petits seigneurs, de grands ou de modestes prélats à tenter de les accaparer au dépris des commandements de notre sainte Mère l’Église ? Ne condamnait-elle point officiellement tous les crimes dont j’avais été l’innocent témoin ?
Innocent lorsque, dans ma naïveté, j’ignorais alors avoir soulevé le couvercle de la boîte de Pandore. L’étais-je encore, innocent, lorsque je découvris que ma sœur Isabeau était l’héritière du chimérique ou réel trésor des hérétiques albigeois ? Que je pourrais en attester en produisant certains parchemins et un ordre de filiation tombé entre mes mains par suite d’un violent orage en ce village fortifié de Commarque ? En dépit des mensonges de celle qui prétendait être sa tante, la sulfureuse Éléonore de Guirande ?
Dois-je avouer qu’un esprit de lucre avait parfois germé dans mon chef ? Et que ma quête n’avait point toujours été celle du saint Graal ? Toutefois, l’incroyable dot dont mon compère en baptême, l’eu mon tuteur le baron de Beynac avait gratifié mon épouse Marguerite, avait écarté ces méchantes pensées. En nous procurant une aisance considérable par le legs de terres et de bénéfices.
Je n’en priais pas moins le Ciel, chaque soir, pour qu’il me guide sur les pas d’Isabeau Brachet de Guirande, fruit du second mariage de mon père avec Dame Marie de Guirande, après le décès de ma mère en couches, et m’autorise à la soustraire aux griffes
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