La lumière des parfaits
lorsqu’on lui avait déclaré que serait rapporté à son hôtesse le montant de la rançon qu’il avait bien voulu fixer lui-même.
Promptement enchaînés, selon mes instructions, ses écuyers et lui avaient été traînés de force dans un cachot.
Notre traquenard avait joué à merveilles, dépassant toutes nos espérances.
J’eus plus grande hâte à serrer ma petite sœur Isabeau dans mes bras qu’à clabauder avec le triste sire de Largoët. Elle avait été isolée et enfermée dans une chambrette, sous la garde de deux sergents.
Je touchai à la parfin à l’un des buts que je m’étais fixés depuis cet inoubliable mois de janvier 1345, lorsque je l’avais vue en songe.
En montant les marches de l’escalier en caillemaçon, j’étais en grand émeuvement. Lorsqu’on déloqua la porte, je la vis de dos, vêtue d’une somptueuse robe vert émeraude, gansée de fils d’or.
Je m’avançai vers elle. Mes heuses claquèrent sur le parquet.
Elle restait aussi immobile qu’une statue. Par le Sang-Dieu, était-elle devenue sourde ? Déjà atteinte de cécité dès son adolescence, quels tourments sadiques son mari avait-il pu lui infliger.
« Isabeau, Isabeau, c’est… moi ! Bertrand Brachet, ton frère ! »
Elle sursauta lorsque je lui mis la main sur l’épaule avec moult tendresses. Elle fit brusquement volte-face, me regardant d’un air hébété.
Ses yeux étaient d’une couleur bistre. Sa bouche charnue s’arrondit, mais aucun mot n’en sortit. Elle recula vivement de trois pas, son visage perdit tout charme. Ses joues se creusèrent, ses sourcils se froncèrent. Revenant sur ses pas, elle leva la main pour me claquer une gifle.
Je saisis son poignet. Elle se débattit, toujours sans mot dire. Seul un gargouillis sortait de sa gorge.
J’en eus le souffle coupé. Cette créature n’était pas ma sœur chérie ! Je tombais derechef de Charybde en Scylla. Non seulement elle était sourde et muette, mais elle voyait parfaitement !
Je tournai les talons et sortis, un pli amer à la bouche, le cœur en sautoir. La porte fut reloquée dans mon dos.
J’eus alors le pressentiment que la véritable Isabeau croupissait dans quelque cachot de l’imprenable forteresse de Largoët. Imprenable ? Cela restait à voir. N’avions-nous pas capturé son seigneur ?
Pour s’acquitter de l’énorme rançon que j’envisageais de me faire bailler, le capitaine d’armes de sa garnison devrait bien nous ouvrir ses portes. Surtout s’il apprenait que son seigneur ne pourrait plus le solder, lui et ses gens d’armes. Que les fiefs de Largoët et d’Elven reviendraient désormais à leur légitime propriétaire, messire Jean de Malestroit, en vertu des actes de réméré. Lui seul pourrait dorénavant bailler leur solde s’il souhaitait toutefois s’attacher leur service.
Je m’en ouvris, le soir même, entre une terrine de légume, de brousse aux herbes fraîches et des beignets de ceps à la farine de lentilles, à Bertrand du Guesclin.
Il m’écouta, mais ne pipa mot. Ce n’est qu’entre une issue de coquilles Saint-Jacques à la crème de corail et une ambroisine de poulet aux fruits secs et au lait d’amande, suivie d’un civet de porc au gingembre frais et au miel, qu’il me dit qu’il en faisait son affaire avant quinzaine, mais qu’il était hors de question de livrer la forteresse au sire de Malestroit.
Ce soir, émerveillé par l’intelligence au combat et la témérité de Bertrand du Guesclin, Élastre des Marès, chevalier du pays de Caux et châtelain de Caen, l’un des grands seigneurs présents au banquet offert en l’honneur du maréchal de France, déclara avec solennité qu’il l’adouberait dès le dimanche de Pâques, lui conférant le titre de chevalerie.
La cérémonie se déroula, selon la tradition, dans la chapelle du château de Montmuran. Durant la longue nuit de veille qui précéda son adoubement, Bertrand du Guesclin, écuyer au service de la Bretagne, du duc Charles de Blois, du roi Jean dit le Bon, deuxième du nom, et de lui-même, eut tout loisir pour méditer sur les vertus de la chevalerie et les devoirs qui en résultaient.
Défendre notre sainte Mère l’Église, honnir le mensonge, protéger les pauvres et maintenir la paix.
Tous ces devoirs étaient innés. Protéger les pauvres, les veuves et les orphelins, il l’avait déjà fait. Défendre la Foi et ses représentants ici bas allait de soi. Quant à
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