La lumière des parfaits
Trussel s’estima offensé et proposa à Bertrand, en réparation de l’affront qu’il lui faisait subir, un duel au cours duquel ils échangeraient trois lances et deux coups d’épée.
Bertrand sollicita et obtint du maréchal d’Audrehem qu’il relève le défi. Lorsque Henri de Lancastre apprit que l’un des lieutenants de son ost devait affronter le dogue de Brocéliande , il tenta de le dissuader. Le roi Édouard lui-même ne réprouvait-il pas de telles manifestations individuelles qui décimaient la fleur de sa chevalerie ?
Entre-temps, Bertrand dut s’aliter en proie à une forte fièvre maligne. Le duc Henri de Lancastre, un ennemi, certes, mais un gentilhomme, tenta de convaincre messire Guillaume de Trussel de renoncer :
« Il ne vous serait pas tenu grand’honneur de jouter et de caployer contre un homme souffrant d’une fièvre maligne », lui aurait-il dit.
— Soit, j’attendrai qu’il soit remis de ses fièvres et en état de m’affronter », lui aurait répondu l’intéressé.
Cela fut porté à la connaissance de notre ami, au chevet duquel nous nous tenions.
Bertrand, à ouïr ces propos, se dressa séant, le visage ruisselant de suance, s’insurgea :
« Que ce chevalier qui m’a provoqué ne fasse point d’excuse pour moi, pas plus que n’en veux faire moi-même. Je me mesurerai à lui, dans l’état où je suis. Ce ne serait pas faire honneur à parole donnée. Que messire Guillaume garde son assignation et faites-lui savoir qu’y serai et l’affronterai à l’heure et au jour convenu ! » Et, malgré toutes les protestations des gens qui l’entouraient, messire Bertrand de se lever et de prier son écuyer de le revêtir de son armure et de lui chausser ses éperons d’or.
Ce duel, qui ne fut point à plaisance, se déroula dès le lendemain à Pontorson. Guillaume Trussel attendait Bertrand, tout en se paonnant sur un magnifique pur-sang. Avant qu’il ne claque le mézail sur le bacinet, nous vîmes, Hamon Leraut et moi, que son visage était blême, souillé de fièvre.
Dès la première joute, Guillaume Trussel lui asséna un coup d’estoc d’un telle violence que l’écu de Bertrand se fendit et qu’il vida les étriers. Bertrand de Saint-Pern, Olivier de Mauny, Raguenel, vicomte de la Bellière, Jean de Beaumanoir et nous autres étions atterrés.
Bertrand, dont l’humiliation avait chassé la fièvre, se releva incontinent, desfora son épée, bondit dans les arçons et fracassa l’écu et l’épaule du Godon. Icelui chut dans la poussière. Bertrand déchaussa, se jeta sur lui et le rendit à merci. Guillaume Trussel reconnut être vaincu et s’engagea à bailler cent écus. Sans plus attendre. Ainsi qu’il avait été convenu…
Avec une douzaine des hommes de la compagnie de Bertrand du Guesclin, nous quittâmes le château de Montmuran quelques jours après les ides d’avril.
Son écuyer, Hamon Leraut, icelui même qui avait porté l’invitation de dame de Dol au sire de Largoët, chevauchait à nos côtés.
Au milieu de notre troupe, Arnaud de la Vigerie, prétendu Barthélémy Méhée de Largoët, drapé dans son mantel de fourrure, poings liés, pieds sanglés avec les arçons, faisait aussi grise mine que lui. Deux fortes cordes faisaient office de brides, enroulées autour du poignet de chacun de mes écuyers.
Lorsque nous fîmes halte pour passer la nuit à la belle étoile, nous l’attachâmes au tronc du plus beau chêne sous lesquel nous avions estravé notre pavillon. L’un de nous montait la garde toutes les deux heures environ.
Deux jours plus tard, nous galopâmes le long de l’allée cavalière qui donnait accès au pont-levis de la forteresse de Largoët.
Une légère brume se levait du lac et montait vers le donjon. Le pont-levis était abaissé, la herse relevée. La garnison avait déserté, comme nous l’avait affirmé un chevaucheur de Bertrand.
Sans aucun doute avait-elle appris, par l’un des fuyards qui avaient relinqui le combat à Montmuran, que leur seigneur et maître avait été capturé pour être desféré devant la justice comtale de son pays d’origine.
La grand’porte de l’entrée principale et celle de la poterne étaient toutefois fermées. Une bille de chêne suspendue à un trou de boulin servit de bélier. Dix ou douze coups eurent raison de la poterne.
Nous savions qu’Arnaud, fouillé à corps, ne portait aucune clef sur lui. Dans son coffre, que de
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