La malediction de la galigai
Beaufort. Celui-ci les fit entrer dans le grand vestibule, avant de les précéder dans l'escalier jusqu'à la salle des gardes, immense pièce décorée de tapisseries. D'autres visiteurs patientaient sur des banquettes. Ils s'installèrent. Dans une chaleur lourde et oppressante, l'attente dura plus d'une heure jusqu'à ce que retentisse un vacarme de cavaliers, d'aboiement de chiens, de cris et d'interjections. Enfin ils virent entrer un groupe de gentilshommes, Beaufort à leur tête.
Le duc était bien fait de sa personne. Grand, vigoureux et infatigable, il avait de la bravoure et de l'audace, de la loyauté et de la chevalerie. Mais ces qualités relevaient de la seule apparence. Ceux qui l'approchaient connaissaient surtout son esprit pesant et grossier, plein de malignité. Surtout, incapable de conduire de grandes affaires, il n'en avait que les intentions.
Botté, en habit de chasse, il tenait à la main un chapeau à longues plumes blanches. Sa chevelure blonde tombait en boucles sur ses épaules. Si son visage était régulier, son expression se voyait gâtée par une bouche aux lèvres boudeuses et des sourcils perpétuellement froncés, comme s'il avait du mal à comprendre ce qu'on lui racontait.
â Monsieur Mondreville ! Vous voulez me voir quelques instants, m'a-t-on dit, fit-il assez sèchement.
â Oui, monseigneur, pour une affaire de la plus haute importance.
â Je n'ai guère de temps⦠Mes amis, attendez-moi sur la terrasse, je vous rejoindrai vite, lança le duc à son entourage. Quant à vous, suivez-moi !
Il leur tourna le dos et se dirigea vers l'escalier. Au second palier, il prit la direction de son appartement et fit entrer Mondreville et Bréval dans un petit cabinet dont il ferma soigneusement la porte.
â Expliquez-moi donc ce qui vous amène, demanda-t-il dans un mélange de morgue et de curiosité.
Resté debout, il ne leur avait pas proposé de s'asseoir.
â Monsieur le duc, puis-je vous présenter mon compagnon, monsieur Bréval qui est négociant en blé ?
Beaufort hocha la tête, tapotant de la main une console soutenant un bouquet de fleurs.
â Je serai bref, monseigneur, fit Bréval en s'inclinant profondément. Nous savons tous ici combien le Mazarin a été injuste envers vous. Pourtant, vous êtes le seul à avoir mené le combat jusqu'au bout pour aider les gens comme moiâ¦
â C'est vrai.
â Je sais, comme tout le monde, que vous avez toujours refusé d'être associé aux finasseries et aux tromperies de la finance.
â C'est encore vrai, et croyez que j'en paye le prix ! Même mon père refuse désormais de m'ouvrir les cordons de sa bourse, tant que je n'aurai pas salué le Mazarin.
â Aussi me suis-je dit qu'il était justice que je vous propose un moyen de prendre votre revanche.
â Vous ? s'enquit Beaufort, levant un sourcil de surprise.
â Son Ãminence utilise des méthodes perfides, indignes même, pour imposer sa volonté. Au lieu de se battre comme un gentilhomme, qu'il n'est pas, il achète ses ennemis, ainsi que le ferait un marchand, ôtant ainsi leurs appuis à ses adversaires.
â Je ne le sais que trop ! C'est ainsi qu'il a acquis l'armée que Turenne devait nous envoyer !
â Mais ôtez-lui ses finances, et tel un lion sans griffes, il sera incapable de faire le mal, monseigneur.
â Je n'y avais jamais songé ! Mais vous avez raison ; seulement se trouvent derrière lui les finances de l'Ãtat qui, même mal en point, sont immenses.
â Les finances ne sont pas si fortes, monseigneur. Au contraire, elles sont encore plus en désarroi qu'on ne le dit. Les banqueroutes se multiplient. Un colporteur m'a rapporté qu'on a pillé les fermes du roi à Valence. On prétend aussi que les trésoriers de France refusent d'établir de nouveaux impôts. La misère est générale, du Languedoc à la Bretagne. Le Dauphiné serait en rébellion au sujet des impôts.
» La Cour même manque d'argent. La reine ne vit plus que des coupes qu'elle fait dans les forêts de Normandie, de Compiègne et de Guise ; bientôt ces ressources s'épuiseront. Les impôts ne rentrent plus. La ferme des gabelles, le plus productif des
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