La malediction de la galigai
par l'épaule. En voici déjà deux :
« Il faut louer l'acte divin,
Qui changea l'eau en vin ! »
Pendant que l'ivrogne faisait rire le corps de garde, son ami l'abandonna un instant et s'intéressa à Beaufort et à ses deux compagnons. Quand ils eurent disparu de sa vue, il reprit le baron par le bras et l'entraîna dans la cour à carrosses.
Blot examina les voitures en titubant. Dans l'une, une femme attendait un visiteur ; Gondi interdisant aux personnes du beau sexe l'entrée du petit archevêché (sauf à ses maîtresses qu'il faisait passer par la porte secrète entre sa chambre et l'église Saint-Denis-du-Pas, accolée à la cathédrale). Sous l'emprise du vin, il s'adressa à la femme, lui chantant d'une voix éraillée :
« Si tu veux, Belle, nous ferons
Tuton, tuton, tutaine, tutu,
Et ton mari cocu ! »
Devant l'expression outrée de la visiteuse, son ami entraîna le libertin à l'écart.
â Assez baron, madame est fâchée ! Vous avez suffisamment pris l'air, rentrons ! Nous laisserons la porte ouverte si vous avez encore besoin de vous ravigoter.
L'ivrogne se laissa faire, entamant un chant sinistre :
« Le monde ici n'est que misère,
Et l'autre n'est qu'une chimèreâ¦Â »
*
En haut de l'escalier, le maître d'hôtel de Paul de Gondi, petit homme corpulent au regard sournois, s'inclina devant le duc. Pendant que Bragelonne redescendait, il accompagna Beaufort et ses compagnons et les fit s'installer directement dans le cabinet de travail du coadjuteur, sans passer par l'antichambre.
Dans le cabinet, assis à une table, l'abbé Ménage rédigeait un courrier. Voyant le duc, le secrétaire du coadjuteur se leva aussitôt, s'inclina respectueusement et fit signe au maître d'hôtel de sortir.
â Monseigneur de Gondi est avec monsieur Joly, expliqua-t-il à Beaufort en grattant à la porte du salon du coadjuteur qu'il ouvrit ensuite sans attendre de réponse.
Paul de Gondi et Guy Joly devisaient dans un petit boudoir tendu de tapisseries.
â Monseigneur, monsieur le ducâ¦
Il n'eut pas le temps de terminer que Beaufort était entré.
Le duc salua brièvement Joly, jeune conseiller au Châtelet que Gondi appréciait pour sa capacité à fomenter l'agitation de la populace et le désordre.
â Quelle surprise et quel plaisir, monseigneur ! s'exclama Gondi, clignant ses yeux de myope pour essayer d'identifier ceux qui accompagnaient François de Beaufort.
Le coadjuteur avait l'habitude des visites surprises du duc et fit signe à chacun de s'asseoir. Déjà , Joly s'était retiré avec Gilles Ménage.
â Paul, voici monsieur Mondreville et monsieur Bréval, commença Beaufort sans préliminaire. Monsieur Mondreville fait partie de la fine fleur de notre noblesse normande autour d'Anet. Il est principal lieutenant du prévôt des maréchaux de Rouen et proche de Mgr de Longueville.
Gondi inclina la tête poliment, n'ayant jamais entendu parler de cet homme. De surcroît, si ce Mondreville était tenu en grande estime par Longueville, homme de rien, c'est qu'il ne valait pas cher, se dit-il. Mais depuis le début de la fronderie, le coadjuteur avait une telle habitude des coquins, bouffons, aveugles et incapables qu'il les écoutait toujours avec attention, sans marquer ce qu'il en pensait.
â Monsieur Bréval, honorable négociant en grains, est son voisin. Tous deux sont des nôtres, poursuivit Beaufort. Monsieur Mondreville a payé sur ses deniers une levée de troupes pour monsieur de Longueville, laquelle faisait partie de l'armée qui ne nous est jamais parvenueâ¦
Gondi opina. Il avait bien été le seul à ne pas croire aux promesses de Longueville, personnage irrésolu qui n'aimait que le commencement des affaires.
â Comme nous tous, messieurs Mondreville et Bréval sont enragés de voir le gredin de Sicile toujours en place. L'idée de monsieur Bréval est que tout n'a pas été tenté contre le Mazarin, en particulier ne pas avoir cherché à l'affamer.
â Comment cela ? demanda Gondi, intrigué.
Bréval prit la parole :
â Le Sicilien a vaincu en affamant Paris, mais le même moyen pourrait être utilisé contre lui. Qu'il ne reçoive plus d'argent, et,
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