La malediction de la galigai
revenus du royaume, est partout au pillage. D'autres colporteurs m'ont averti que, comme en Normandie, dans les généralités de Picardie et de Champagne, on ne vend plus de sel. Le faux saunage est organisé par les déserteurs d'armée et les vagabonds. J'en ai même vu à Longnes proposer leur sel aux cabaretiers, au su et vu des gens de la gabelle ! Des habitants d'Orléans, de Blois et de Tours ont fait descendre des bateaux pour aller charger du sel à Nantes et le revendre dans leur ville. C'est en vain que capitaines, archers et commis des gabelles essayent de s'y opposer et les succès contre eux enhardissent les contrebandiers. Les finances sont ruinées au point de ne plus payer les rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, gagées sur les revenus de la ferme des gabelles.
â Je sais tout cela ! Mais où voulez-vous en venir ? s'agaça Beaufort qui avait écouté ce long discours avec une évidente impatience.
â Il ne serait pas si difficile de rendre le Sicilien impuissant, lui qui attend impatiemment le transport des tailles de Normandie à Paris. Deux millions passeront non loin d'ici. Prenez-les, et Mazarin sera ruiné !
â Vous me proposer de voler la recette des tailles ? demanda Beaufort, incrédule.
â Pas de voler, monseigneur ! D'empêcher Mazarin de les utiliser contre vous et le pauvre peuple de France. Votre aïeul le roi de Navarre n'aurait jamais hésité à un tel coup de main ! Si je suis venu vous proposer cette entreprise, c'est parce que je connais votre audace et votre loyauté chevaleresque, que vous tenez de votre grand-père.
Le silence s'installa. Hostile au début, tant Beaufort avait été choqué par cette idée de vol, il se transforma peu à peu en mutisme de connivence.
C'est que si le duc avait choisi de garder sa popularité auprès des Parisiens en s'opposant au mariage de son frère MercÅur avec la Mazarinette , il se rendait compte être désormais acculé dans une impasse. Si son père ne lui donnait plus d'argent, que deviendrait-il ? Certes, les femmes des Halles lui avaient crié quelques jours auparavant : Monsieur, ne consentez pas au mariage de M. de MercÅur avec la nièce de Mazarin, quoi que vous dise M. de Vendôme. S'il vous abandonne, vous ne manquerez de rien. Nous vous ferons tous les ans une pension de soixante mille livres aux Halles . Mais soixante mille livres étaient bien peu, en face des revenus de l'Amirauté !
â C'est certainement impossible, laissa-t-il enfin tomber, reconnaissant par ses mots qu'il était tenté.
â Savez-vous, monseigneur, qu'en 1617, monsieur le maréchal d'Ancre, gouverneur de Normandie, s'est emparé de la recette des tailles pour affaiblir le roi ? intervint Mondreville, rassuré par ces dernières paroles.
â Non, j'ignore celaâ¦
â Elles étaient transportées sur la Seine, comme le seront les prochaines tailles.
â Songez-y, monseigneur. Quelle action d'éclat ! La perte de cette recette ruinerait les ambitions de Mazarin qui ne pourrait même plus payer ses troupes. La reine le chasserait, et vous, auréolé de cette victoire, prendriez sa place ! Ce serait un exploit digne d'être chanté par tous les poètes du monde !
â Voilà qui est vrai ! reconnut encore le duc après un nouvel instant de réflexion.
Il resta silencieux encore un moment, fronçant encore plus les sourcils comme pour ordonner ses idées, puis déclara :
â Retrouvez-moi à Paris, la semaine prochaine. Je serai mardi au palais d'Orléans avec Monsieur et l'abbé de La Rivière afin de préparer un accommodement avec le cardinal. Passez à l'hôtel de Vendôme le soir à cinq heures, nous irons ensemble chez le coadjuteur proposer votre idée.
Le duc leur fit signe que l'entretien était terminé.
*
Bréval et Mondreville s'inclinèrent, à demi satisfaits. Ils n'avaient pas réussi à dire au duc que seul Longueville connaîtrait le jour de départ du convoi. Quant à mêler le coadjuteur de Paris à leur projet, ce n'était en rien ce qu'ils avaient souhaité.
1Â Chambre criminelle dans les parlements.
33
A Paris, en cette fin août, la réconciliation entre la Cour et les frondeurs avançait
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