La malediction de la galigai
gouvernement d'Auvergne, assorti de cent mille écus, ainsi que Mademoiselle de Longueville 9 , chez laquelle il va tous les jours. On dit que Monsieur le Prince et monsieur de Longueville seraient favorables à cette union.
â Et alors ?
â Le duc a tout écarté avec hauteur. Il veut paraître incorruptible et dit refuser l'argent de la Cour parce que cesdeniers se lèvent sur le peuple  ! En vérité, dans l'ombre, il brigue l'Amirauté et serait prêt à tout, si on la lui offrait. Mais tu connais Son Ãminence : la charge est aussi recherchée par son frère MercÅur et par le prince de Condé. Cette rivalité permet de les opposer et d'éviter leur alliance. Quoi qu'il en soit, malgré les injonctions de son père, Beaufort a refusé jusqu'à présent d'aller à Compiègne se soumettre. Seulement sans argent, combien de temps tiendra-t-il ?
â Je suppose que Monsieur l'aide.
â Ãvidemment ! Le duc d'Orléans affirme d'ailleurs partout qu'il fait aveuglément ce que monsieur de Beaufort déclare vouloir ! Le pauvre abbé de La Rivière 10 est désormais en disgrâce sous prétexte que Son Ãminence a montré au duc qu'il a vendu son âme au prince de Condé !
â Tout pourrait donc recommencer ?
â à mon avis, non, car les cours souveraines sont revenues à l'obéissance et les échevins n'ont qu'un désir : que le roi rentre et que les artisans et les marchands obtiennent de nouveau du travail. à moins que la Cour ne commette une lourde faute, on ne devrait pas subir de nouvelle insurrection. De plus, maintenant que la paix a été signée en Westphalie, les impôts pourraient baisser. Enfin, chacun songe que le roi sera majeur dans deux ans. Nul doute qu'il mette en place un autre gouvernement. La seule crainte que j'aie est qu'éclate une altercation entre les jeunes fous qui viennent régulièrement de Compiègne et les amis de Beaufort. La prévôté de l'Hôtel du roi serait-elle capable de les empêcher de se battre ?
*
Dans les jours qui suivirent, Gaston remboursa à Fronsac les trente mille livres prêtées pour acheter sa charge de procureur. Ainsi, sur les deux cent mille livres que lui avait coûté l'office de Boutier, il ne devrait plus que vingt mille livres à la banque Tallemant, une somme qu'il parviendrait à réduire en un ou deux ans avec ses gages et les frais de justice demandés pour les procès.
En somme, il possédait de quoi s'acheter son carrosse.
Avec Armande, ils se rendirent aux écuries de La Trinité, dans la rue de la Verrerie, d'où partait un service de voitures vers la banlieue. Le maître de poste proposait des carrosses à la vente. Armande tomba sous le charme d'une petite voiture, en très bon état, à l'intérieur garni de velours cramoisi à ramages. Le véhicule avait des glaces et des rideaux de damas et le siège du cocher se tapissait de drap rouge. Le vendeur en voulait trois cents livres. Gaston marchanda et obtint gracieusement les harnais des chevaux, une selle de postillon, et surtout que l'on peigne les armes des Tilly sur les portières : une fleur de lys de gueule en champ d'or avec la légende : Nostro sanguine tinctum . Il convint aussi avec le maître de poste qu'il laisserait le carrosse chez lui et louerait les chevaux quand il en aurait besoin.
Armande utilisa une partie des cinq mille livres restantes à l'achat d'un nouvel ameublement. Ce furent huit chaises de noyer garnies de crin et couvertes de damas rayé, une table de marbre jaspée de blanc et rouge de quatre pieds de long, des assiettes de porcelaine, des rideaux de fenêtre de belle toile et un petit poêle de faïence. Enfin, un tailleur leur coupa et livra quelques habits destinés à leur permettre d'affirmer leur rang. Gaston manquait cependant toujours de chemises, car, comme beaucoup de gentilshommes, il en changeait deux fois par jour pour éviter de se laver. Armande lui en commanda vingt-quatre ainsi que des chausses et un pourpoint de taffetas aux boutons en argent. Pour elle-même, elle fit faire une jupe de satin des Indes gris de perle à fleurs d'or.
*
C'est le soir du 18 juin que Gaston reçut, d'un Suisse de l'Hôtel du roi, l'ordre du lieutenant général du marquis de
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