La malediction de la galigai
ordonnance de l'armée de Condé.
Louis Fronsac était pourvu d'un rare talent. Il possédait un esprit de géométrie lui permettant de relier des faits apparemment sans rapports. Quelques mois plus tôt, il avait ainsi été approché par le comte de Bussy, officier du prince de Condé ayant découvert, dans l'enclos du Temple, une lettre du dernier grand maître Jacques de Molay. Après avoir suivi plusieurs fausses pistes, Fronsac avait enfin compris le sens du message contenu dans le vieux parchemin. Cela l'avait conduit à une cachette où les Templiers avaient dissimulé un trésor 5 . Après avoir remis la moitié de cette petite fortune au comte de Bussy, Louis avait décidé de donner une partie du reste à Gaston.
*
Le lendemain du jour de cette trouvaille, il se présenta chez son ami avec Bauer. à peine entré dans son appartement, et sous les yeux écarquillés d'Armande, Bauer vida sur une desserte le gros sac de cuir qu'il transportait. Il s'en écoula quelques centaines de deniers à l'écu, d'anciennes pièces d'or à l'effigie de Saint Louis, tous aussi brillants que s'ils avaient été frappés la veille.
â Qu'est-ce ? balbutia Gaston, interloqué.
â Ta part sur le trésor de Jacques de Molay, répondit Fronsac. Trente-cinq mille livres.
â Le trésor ? Mais tu m'as déjà donné des pièces d'or découvertes dans les coffres que monsieur de Bussy avait cédés à Mgr de Contiâ¦
â Ces coffres n'étaient qu'un leurre, je te l'avais dit. J'ai enfin compris hier ce que signifiait le message de Jacques de Molay. Il indiquait une maison ayant appartenu à Guillaume de l'Aigle, un commandeur du Temple. J'ai retrouvé cette bâtisse et, dans la cave, un coffre scellé au mur. Il contenait vingt mille deniers à l'écu 6 , soit quinze mille louis d'or. Je ferai porter la moitié au comte, comme je m'y étais engagé. Pour le reste, la moitié est allée à mon père, ce qui couvrira le pillage de l'étude par les gens de Beaufort ; cinq mille à Bauer pour son aide ; et nous nous partageons le reste en frères que nous sommes.
â Ce n'est pas possible ! protesta Gaston en secouant la tête. C'est toi qui as déniché ce trésor.
â Y serais-je parvenu sans toi ? Qui nous a sauvés des Allemands à Mercy ? Crois-moi, avec ce qui me reste, j'ai assez pour remettre ma seigneurie et ma maison de Paris en état. Ce qui est là est ta part, je l'ai décidé.
Gaston accepta, d'autant qu'il avait besoin de cet argent, mais insista pour que son ami et Bauer restent souper. Armande fit apporter un dîner depuis le traiteur-rôtisseur à l'enseigne du Petit-Paris , leur voisin dans la rue de la Verrerie, tandis qu'un laquais partait prévenir Julie à l'étude Fronsac que son époux rentrerait plus tard.
Durant le repas, le marquis de Vivonne raconta les circonstances de la découverte du trésor. Par quel hasard il avait entendu parler de la rue de l'Aigle, puis trouvé le vieux logis de Guillaume de l'Aigle. C'était une chance inouïe que cette maison n'ait pas été détruite, et que son occupant souhaitât la quitter.
â Parle-moi maintenant de la situation à Paris, demanda Louis à Gaston. En ce moment, mon père ne s'intéresse qu'à l'étude et monsieur Boutier, qui aurait pu me renseigner, se trouve à Compiègne avec la Cour.
M. Boutier était le parrain de Louis. C'est lui qui avait vendu à Gaston sa charge de procureur après être devenu conseiller au Parlement.
â Je voudrais être certain que le calme soit bien revenu avant de remeubler ma maison de la rue des Grands-Manteaux, poursuivit Fronsac.
Le logis parisien de Louis avait été pillé durant les troubles de la fronderie.
â Il s'agit seulement d'un calme apparent, grimaça Gaston. Le prince de Condé s'est réconcilié avec son frère et sa sÅur, et l'absence de la Cour apaise les esprits. Mais le peuple gronde toujours, prêt à se soulever au moindre prétexte. La misère est telle dans les campagnes que chaque jour la ville reçoit de nouveaux malheureux qui viennent quêter la charité. Dieu soit loué, les gentilshommes les plus querelleurs résident à Compiègne tandis que le
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