La malediction de la galigai
autrefois. Elle lui mangeait tout le visage en se mélangeant à sa chevelure.
â Noël ! Ta visite me fait plaisir ! lança-t-il en l'apercevant. Charles m'a raconté l'altercation d'avant-hier et j'ai fait venir un maître d'armes pour l'entraîner à devenir bon escrimeur.
â Il serait plus sûr qu'il évite les querelles ! Surtout avec Richebourg.
Mondreville haussa les épaules, comme si cela l'indifférait.
â Il m'a aussi beaucoup parlé de ta filleule Anaïs. Il faudrait songer à ce mariageâ¦
â J'y suis favorable, tu le sais, mais c'est Anaïs qui décidera.
â Quel étrange propos ! Qui de ses parents et d'elle fait la loi ? Une sotte femme ne peut juger ce qui lui est utile.
â Mon ami, je ne te suivrai pas sur ce terrain. Si Charles lui plaît et si ses parents l'agréent, elle l'épousera, mais je les aime trop tous les deux pour les unir contre leur gré.
â J'attendais autre chose de ta part, grimaça le prévôt. J'avais trouvé un bon parti pour Charles, la fille d'un traitant de Rouen qui lui aurait apporté en dot un quart de million, mais ces gens m'ont demandé une généalogie de ma noblesse sur cinq générations. J'ai rompu nos discussions.
â Pourquoi veux-tu marier Charles si vite ?
â D'abord afin qu'il cesse de courir les drôlesses ! J'en ai assez de devoir être derrière lui ! Mais aussi parce qu'il me coûte cher. Il est temps qu'il vive sur la dot de sa femme !
â Je lui donne une pension, remarqua Bréval.
â Bien insuffisante avec ce qu'il gaspille au jeu et en puterelles à Mantes et Vernon ! Mais parlons d'autre chose, comment vont tes affaires ?
â Pas bien, tu le sais. J'ai dû vendre un navire, la semaine dernière. Le blé est rare et ne peut plus circuler.
â Ce n'est pas mieux pour moi. Les récoltes ont été ruinées par les soldats et les pluies incessantes. Je me trouvais hier à Rouen où je me suis fait prêter dix mille livres. J'ai aussi essayé de voir Mgr de Longueville afin qu'il me rembourse les cinquante mille livres que je lui avais avancé, mais il n'a pu me recevoir. Je songe donc à vendre ma charge. Sinon, à me séparer de quelques belles terres.
Ils restèrent silencieux un moment. Cette stupide guerre civile les ruinait.
â Tu auras quand même un bateau pour l'Assomption ? s'enquit le prévôt.
â Oui, il part d'Angleterre demain et débarquera ses marchandises mercredi ou jeudi à Rouen. Mon premier commis lui fera remonter la Seine et il arrivera à Vernon samedi en huit. Nous pourrons faire le nécessaire dimanche. Le chargement accostera devant le château des Tournelles avant de redescendre le fleuve. Ainsi, il sera en pleine mer mardi.
â Bon débarras ! Mais débrouille-toi pour qu'il n'y ait pas de retard, je ne pourrais tenir plus longtemps.
â Il y a autre chose. Trois hommes sont arrivés à Longnesâ¦
â Je sais, mon sergent a pris leur nom auprès du cabaretier.
â Ce sont eux qui ont empêché le duel avec Charles, je devrais donc leur en être reconnaissant, mais ils m'ont posé de curieuses questions sur Petit-Jacques⦠Et sur un vol de la recette des tailles qui aurait eu lieu au temps de Concini.
â Qui se souvient encore de ce brigand ? plaisanta le lieutenant du prévôt.
â Ils se sont même rendus à la Carpe d'Argent, cet après-midi. Je les ai suivis.
â Ah. Qui sont-ils exactement ? s'enquit Mondreville, brusquement en alerte.
â L'un se dit officier du prince de Condé.
â Condé ? En quoi s'intéresserait-il à Petit-Jacques ?
â Il n'y a qu'une façon de régler ce problème : l'affronter en face. Ils sont trois, viens demain chez moi avec Charles et soyez bien armés.
*
Le vendredi 6 août, Canto de La Cornette, Pichon de La Charbonnière et Jacques Sociendo repartirent vers Moisson. Au cabaret de la Carpe d'Argent , un marinier avait accepté de les piloter dans une petite barque à voile qui leur permettrait d'explorer les bancs de sable et les bras morts de la rivière. Ils avaient justifié leur demande par les préparatifs du transport de plusieurs barques de marchandises
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