La malediction de la galigai
avant de diriger sa monture vers Bréval.
â Monsieur de Richebourg, lui dit celui-ci, je vous avais demandé de ne pas importuner ma filleule.
â Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Bréval, je ne l'importunais pas. Je lui ai juste fait part de l'incident de l'auberge. Vous n'aurez qu'à l'interroger. Si elle ne souhaite plus me voir, j'obéirai. Je vous salue, monsieur Bréval. Ainsi que votre compagnon, ajouta-t-il, narquois.
Sans attendre de réponse, il donna un coup de talon à la vieille jument qui partit au trot.
â L'impudent ! cracha Mondreville.
Ils s'approchèrent du perron où Anaïs restait debout.
La jeune fille était très grande, en bas de cotte de drap turquoise avec des basques et une cotte en estamet aux manches volumineuses. Par-dessus, elle portait un grand tablier jaune clair. Son visage ovale, au teint de neige, affichait un front large et haut avec deux sourcils étroits, bien dessinés. Ses grands yeux bleus vibraient de timidité, mais laissaient paraître un regard vif et volontaire. Son nez aquilin, sa petite bouche et sa fossette au menton renforçaient son charme. Sous son chaperon sortaient quelques boucles rebelles de cheveux blond cendré.
Elle demeura impassible devant le jeune Mondreville.
â Ma filleule, lui dit Bréval avec une grande douceur, tu sais que je n'aime pas que tu rencontres cet homme. C'est un querelleur ruiné qui ne t'apportera rien.
â Nous ne faisons rien de mal, parrain. Monsieur de Richebourg se montre très courtois avec moi, Isabelle pourra en témoigner. Et Thibault n'est nullement un querelleur, simplement il a le sens de l'honneur.
La dame de compagnie hocha la tête tandis qu'Anaïs rentrait dans la demeure.
Mondreville grimaça. Voyant que Bréval ne l'invitait pas à entrer, il partit vers l'écurie faire seller son cheval.
1 Méthode de lecture basée principalement sur des exemples culinaires.
2 Jeu de carte qui se jouait à deux.
15
L e lendemain soir, Bréval revint à l'auberge. Les trois hommes de la veille s'y trouvaient encore. Il s'attabla en leur compagnie.
â Monsieur Bréval, laissez-nous vous offrir à boire à notre tour ! proposa joyeusement Pichon.
â Pas de nouvelles de vos chariots ? interrogea le négociant, tandis que Canto faisait porter du clairet.
â Aucune, répondit Sociendo.
â Qu'avez-vous fait cette journée ?
â Nous sommes allés dîner à Vernon.
Là -bas, Sociendo avait tenté de louer une barque, mais n'avait trouvé que des bateaux de pêche et des gabarres. Ils avaient donc suivi le chemin de halage, élaborant de vagues projets sur la façon de voler deux millions au nez et à la barbe de l'escorte qui accompagnerait le convoi.
â Vous habitez ici depuis longtemps, monsieur Bréval ? s'enquit Pichon.
â Depuis toujours ! Mais j'ai aussi une maison à Rouen où je réside habituellement. Seulement, en ce moment, le négoce va mal et mes commis suffisent à la tâche.
â Où nous avons dîné, nous avons entendu une histoire incroyable. Avez-vous ouï dire d'un vol de la recette des tailles, au temps de Concini ?
Visiblement pris de court, Bréval ne répondit pas tout de suite.
â Vaguement, fit-il enfin. J'étais à Rouen, alors. J'avais déjà deux barques et j'étais souvent à les manÅuvrer. Mais je ne suis pas sûr que ce vol ait vraiment eu lieu. à mon sens, il s'agit surtout d'une rumeur. Pourquoi vous a-t-on parlé de ça ?
â à cause des brigands ! s'exclama Sociendo. Nous avons vu un homme au pilori et ses complices suspendus devant le pont, picorés par les corbeaux. On m'a raconté que les bois alentour pullulaient de ces marauds qui s'attaquent aux marchands. Je me suis inquiété pour mes chariots, même s'ils ont une bonne escorte, et nos voisins de table, peut-être afin de me faire peur, ont parlé d'un brigand nommé Petit-Jacques qui, voilà trente ans, aurait volé la recette des tailles, et surtout s'attaquait aux marchands se rendant dans des foires.
â Celui-là , je m'en souviens bien, il terrorisait le pays ! plaisanta Bréval.
â Savez-vous qu'il aurait volé un million de livres ?
â Non ?
â C'est
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