La malediction de la galigai
nous ? Nous manquons d'expérience.
Le silence s'installa un moment. Mondreville essayait de jauger la sincérité des trois pendards, de voir si se dévoiler aussi tôt comportait des risques, de calculer la faisabilité du projet et â surtout â de considérer si, lui, prévôt, ne courrait pas le risque de tout perdre pour un butin hypothétique. Son fils et Bréval attendaient sa décision.
â Comment pouvez-vous en être sûrs ? Il n'y a que très rarement de tels transports, et pas depuis plusieurs années. En tout cas, le secret est toujours bien gardé, se contenta-t-il de répondre.
â Notre ami en est sûr. Il peut avoir la date. Et deux millions de livres en or valent d'affronter certains dangers.
De nouveau, le silence s'imposa. Jusqu'à ce que Bréval interroge :
â Nous serions combien ?
â Cinq, plus vous trois. Combien étiez-vous en 17 ? demanda-t-il à Mondreville.
â Six.
â Donc rien d'impossible. Deux millions pour huit, cela fait deux cent cinquante mille livres.
â Il faut une barque, ajouta Mondreville. Petit-Jacques possédait une gribane gréée d'une bonne voile. Et aussi que le vent soit favorable.
Ils se tournèrent vers Bréval.
â Pour le vent, je ne peux rien faire, mais je peux disposer d'une petite gribane bien manÅuvrable, reconnut le négociant. Seulement, qui de vous sait naviguer ?
â Moi ! répondit Sociendo.
â Il y avait deux mariniers avec Petit-Jacques, remarqua Mondreville. Un minimum pour manÅuvrer et aborder la gabarre. Il se trouvait des gardes à bord. Que nous avons éliminés avec des arbalètes.
Le sort en était jeté : l'appât du gain se montrait plus fort que la prudence et sa position.
â J'ai appris à naviguer, intervint son fils.
â Nous pourrions nous entraîner, confirma Bréval. Monsieur Sociendo, voulez-vous m'accompagner à Rouen ?
â Maintenant ?
â Nous arriverons à la nuit en forçant nos montures. Demain, vous viendrez avec moi regarder ce qu'on pourrait acheter, et ce que vous sauriez manÅuvrer.
â C'est d'accord. Vous venez ? demanda-t-il à ses compagnons. Â
â Pour quoi faire ? Non, nous allons rentrer avec monsieur Mondreville. En chemin, il nous racontera comment il a fait, voilà trente ans, avec Petit-Jacques.
1 Le prince de Condé était Altesse Royale.
16
A Longnes, Pichon proposa aux Mondreville de dîner au Saut du Coq . En chemin, le prévôt leur avait décrit la manÅuvre de la gribane de Petit-Jacques, la manière d'aborder la gabarre et comment ils l'avaient saisie. Il ne parla pas du sort des complices, ni de l'après, précisant seulement que les Italiens de Concini avaient donné leur part du butin.
Ensuite, il rentra chez lui tandis que son fils restait avec les deux estafiers devant prévenir Anaïs de l'absence de son parrain, parti à Rouen. à cette occasion, le jeune homme espérait faire sa cour.
Mais Richebourg et sa rossinante se trouvaient devant la maison de Bréval. Avec, comme la veille, Anaïs sur le perron avec sa dame de compagnie. Vêtue d'une modeste robe de couleur sombre et d'une chemise blanche brodée à col haut, elle parlait avec son soupirant et son visage reflétait tout le bonheur du monde.
Mondreville sauta à terre, interpellant rudement Richebourg.
â Que faites-vous là  ? Monsieur Bréval vous a interdit d'y venir !
Le visage de Thibault de Richebourg se figea. Comme il posait la main droite sur la poignée de sa rapière, Anaïs s'interposa :
â Monsieur Mondreville, monsieur de Richebourg est un ami, un homme d'esprit et d'honneur. J'apprécie ses visites. Si vous voulez que je garde une bonne opinion de vous, apprenez à vous maîtriser. Mon parrain n'a jamais interdit à monsieur de Richebourg de venir. Je le vois hors de sa maison, nous ne prenons aucune liberté et il n'y a rien de déshonorant entre nous.
â Si vous souhaitez vider cette querelle ici, proposa insolemment Richebourg, s'écartant de son cheval, ces deux messieurs nous serviront de témoins.
â Non ! intervint Pichon, descendu de cheval.
Il prit Mondreville par l'épaule et l'attira à l'écart.
â Oubliez-vous ce
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