La malediction de la galigai
réponse, il leur tourna le dos et retourna vers ses amis.
*
Fronsac s'adressa au prévôt qui dissimulait un sourire.
â Allons-y ! décida-t-il.
Dans la cour, il proposa au père et au fils de monter dans son carrosse. Le prévôt accepta et s'assit à côté de lui, son fils en face.
â Vous connaissiez bien le père de Gaston de Tilly ? s'enquit Louis, tandis que la voiture franchissait le pont-levis, Bauer suivant à cheval.
â Bien ? Non ! Mais nous nous rencontrions souvent. Je crois pouvoir affirmer que nous avions une certaine estime l'un envers l'autre. Il était très apprécié de monsieur de Sully. Sa disparition m'a beaucoup affligé.
â Gaston de Tilly est mon ami depuis vingt-cinq ans, monsieur le prévôt. Pourtant, il est revenu à Tilly sans m'en parler. Il voulait enquêter sur la mort de son père.
â Enquêter ? répéta le prévôt, comme s'il n'avait pas compris.
â Vous avez bien entendu. Son oncle, décédé il y a peu, lui avait laissé une lettre dans laquelle il s'interrogeait sur les circonstances de l'accident au cours duquel étaient décédés ses parents.
â Je me souviens que leur voiture avait verséâ¦
â Que savez-vous d'autre ?
â Sur l'accident lui-même, rien de plus, mais sur ce qui s'est passé à ce moment-là , je n'ai rien oubliéâ¦
Il parut hésiter.
â Il venait de se produire un vol important.
â Un vol⦠De quoi s'agissait-il ?
â Trois jours avant la mort de monsieur de Tilly, on avait détourné un transport de la recette des tailles de Normandie. Monsieur de Tilly avait retrouvé un des voleurs, mort, hélas ! tué par ses complices. J'avais fait pendre son corps ici.
Le carrosse s'était arrêté devant la porte fortifiée du pont. Tandis que les gardes de nuit l'ouvraient, le prévôt désigna la potence dressée.
â On pourrait avoir tué monsieur de Tilly pour que les investigations s'arrêtent ? osa Louis.
â Non, car monsieur de Tilly n'était pas seul à enquêter, il y avait aussi le vicomte de l'Eau, le lieutenant criminel, moi-même et encore le prévôt des maréchaux. Nous avons d'ailleurs poursuivi les recherches après sa mort, mais l'affaire est très vite tombée dans l'oubli, car une dizaine de jours plus tard, le maréchal d'Ancre, alors gouverneur de Normandie, était tué. Après le vol, nous craignions tous pour nos charges, mais le jeune roi a eu d'autres préoccupations que de nous sanctionner. Et puis la confiscation de la fortune de Concini a largement compensé la perte des taillesâ¦
Pendant que son père parlait, Pierre Langlois considérait Louis Fronsac avec perplexité. Le marquis de Vivonne renouait minutieusement un de ses galants noirs. Extrêmement concentré dans cette opération, il paraissait abîmé dans de profondes réflexions et peu intéressé par ce qui se racontait. Jacques Langlois s'en aperçut à son tour et se tut, quelque peu froissé par cette attitude indifférente.
Louis leva alors la tête et le gratifia d'un chaleureux sourire.
â Ne croyez pas que je ne vous écoute pas, monsieur le prévôt. Vous venez de me donner un fil de l'écheveau, expliqua-t-il avec affabilité.
â Quel écheveau ? s'étonna Langlois, interloqué.
â Celui qui me permettra à coup sûr de tisser l'histoire de l'assassinat des parents de mon ami Gaston.
1Â Un pot-de-vin.
23
L e carrosse s'arrêta devant la tour située au milieu du pont. La barrière était mise pour la nuit, mais Pierre Langlois se montrant, le véhicule put poursuivre jusqu'à la troisième tour de fortification.
Celle-ci franchie, la voiture tourna à gauche sur la terrasse bastionnée qui protégeait le château des inondations. Il y avait là quelques canons dirigés vers le fleuve. Passant sa tête à la portière, le prévôt ordonna aux mousquetaires de faction qu'on les laisse poursuivre. Le carrosse franchit le pont-levis qui surmontait les douves inondées et s'arrêta devant une estacade 1 en bois.
Le château était constitué de quatre tours rondes, sans aucune porte au niveau du sol. Seul l'escalier de bois de cette estacade
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