La malediction de la galigai
 â ce qu'elles n'étaient pas, tant elles étaient passementées de fils d'or et d'argent â avaient hâte de retrouver la grande ville, ses bals et ses fêtes. Si les hommes se drapaient de noir, chez les épouses et leurs filles, les couleurs des soies, satins et taffetas rivalisaient de variété. Quelques-unes avaient crêpé leurs cheveux avec cette fine frisure ovale autour de la tête que l'on nommait la coiffure à bouffons , d'autres y avaient ajouté une garcette . Toutes étaient maquillées d'une épaisse couche de céruse.
Le prévôt se dirigea vers un groupe entourant un homme rondelet, au visage potelé barré d'une belle moustache blonde en queue de canard. Il était vêtu de soie noire et arborait une épée de parade au côté. Quand il vit le prévôt et son fils accompagnés d'un inconnu, il leur lança un regard interrogateur.
â Monsieur le vicomte, fit le premier en s'inclinant, monsieur le marquis de Vivonne souhaite vous dire quelques mots en privé.
Le premier magistrat de la ville baissa ses lourdes paupières sans pour autant quitter Fronsac des yeux. Puis son regard tomba sur les galants noirs.
â Je crois avoir entendu parler de vous, déclara-t-il lentement. Ãtes-vous monsieur Louis Fronsac ?
â En effet.
Le vicomte adressa un signe à ses compagnons et s'éloigna vers une partie de la salle où il n'y avait personne.
â Qu'avez-vous à me dire, monsieur ?
En quelques mots hachés, Louis raconta ce qu'il savait sur l'emprisonnement de Gaston. Le vicomte l'écouta sans afficher la moindre expression. Mais quand le marquis de Vivonne eut terminé, il laissa tomber d'un ton dubitatif, presque désobligeant.
â Votre histoire⦠m'étonne beaucoup, monsieur le marquis. Il n'y a aucun prisonnier en ce moment aux Tourelles.
â Monsieur le vicomte, je ne repartirai pas sans monsieur de Tilly. Je vous le répète, monsieur de Tilly est au plus près de monsieur le chancelier. Et Mgr Mazarin l'apprécie particulièrement. Si vous refusez de me laisser entrer aux Tourelles, j'en conclurai que vous cautionnez son emprisonnement. Auquel cas, le compagnon qui m'attend dehors partira sur-le-champ pour Paris et reviendra demain avec un détachement des cent-suisses. Non seulement monsieur de Tilly sera libéré, mais vous serez mis en cause dans un crime de lèse-majesté.
Le visage poupin se décomposa.
â Vous⦠vous me menacez ?
â Non, je vous mets cordialement en garde. Puis-je donc obtenir un ordre écrit pour faire sortir monsieur de Tilly du château des Tourelles ? Monsieur le prévôt m'accompagnera.
Le vicomte maîtrisa sa colère. Vernon et le château dépendaient du bailliage de Gisors cédé par François I er à Renée de France, puis transmis au duc de Nemours, époux de la sÅur du duc de Beaufort. M. Le Normand avait payé sa charge seulement deux cent mille livres en offrant un donatif 1 à l'intendant du duc. Si la reine et la Cour se déclaraient contre lui, il n'était donc en rien certain de garder la confiance de M. de Nemours. Pourquoi prendre le risque de tout perdre en soutenant Mondreville qui, après tout, n'était que le locataire d'un cachot ? Il fit un signe rageur à un valet.
â Portez-moi une écritoire !
Le valet revint rapidement avec une table pliante tandis qu'un second domestique apportait sur un plateau cornet d'encre, plumes, canifs, feuilles, cire et réchaud à bougie.
Restant debout, sans même retailler la plume, Le Normand écrivit rageusement :
« Au concierge et sergent du château des Tourelles,
« M. Fronsac est autorisé à faire sortir du château de Vernonnet tout prisonnier qui pourrait y avoir été enfermé par M. Mondreville.
« Fait à Vernon, le vendredi 13 août 1649.
« Le Normand, vicomte. »
Il sortit ensuite un sceau d'une poche de son pourpoint de soie vert, fit chauffer la cire et cacheta le pli.
â Voici l'ordre que vous me demandez. Si ce procureur du roi est effectivement enfermé dans le cachot de monsieur Mondreville, j'en ignore tout et j'en dégage, par avance, ma responsabilité. Monsieur le prévôt vous portera l'assistance nécessaire.
Sans attendre de
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