La malediction de la galigai
Philippe Auguste, véritable forteresse défendue par un talus en pique, des tours et un donjon circulaire.
Ils arrivèrent en vue de la porte de Bizi à l'instant où son capitaine faisait fermer les battants du corps de gardes. Voyant arriver un carrosse à grand train, l'officier attendit. Louis lui présenta son passeport. Marquis de Vivonne et chevalier de Saint-Michel, on ne pouvait que le laisser entrer, malgré l'heure tardive.
S'orientant en fonction du donjon de Philippe Auguste dépassant des toits, ils arrivèrent rapidement devant le pont-levis du château fort construit à l'époque où la Normandie appartenait aux Plantagenêts. Cette forteresse, ainsi que le pont sur la Seine avec ses trois tours crénelées et le château de Vernonnet, appelé aussi des Tourelles, sur l'autre rive du fleuve, constituaient la barrière érigée par Philippe Auguste afin de protéger l'Ãle-de-France.
Mais la Normandie était française depuis longtemps et la barrière sans utilité. à la fin du siècle précédent, on avait construit un jeu de paume dans la grande salle du château et des moulins sur le bastion. Les tours servaient désormais de refuge aux corbeaux, les toitures percées laissaient voir leurs charpentes et seuls quelques salles et logements accueillaient la prévôté et les prisons. C'est là que logeait le prévôt Jacques Langlois.
Ce soir-là , lui et le vicomte recevaient les magistrats du parlement de Rouen, fidèles à la régente, qui avaient accepté de siéger à Vernon. L'année précédente, le duc de Longueville avait entraîné le parlement de Normandie dans sa révolte contre l'autorité royale, une fronde d'autant plus facile qu'à Rouen, comme à Aix, Mazarin avait vendu des charges de conseiller uniquement pour combler les besoins du Trésor. Et comme il y avait, dès lors, trop de magistrats, la chancellerie avait décidé de les faire siéger à tour de rôle, par semestre. Les parlementaires s'étant insurgés contre cette décision réduisant la valeur de leur office et de leurs revenus, pour se faire obéir des magistrats rétifs, la régente avait donc transféré le parlement de Rouen à Vernon, ville restée fidèle sous l'autorité du marquis de Blaru. Mais seule une partie des conseillers s'y était rendue en février 1649 ; essentiellement les magistrats ayant acquis les nouvelles charges vendues par Mazarin. C'est eux que le vicomte accueillait ce soir-là , pour les informer des tractations menées à la Cour.
Or, maintenant qu'ils avaient payé leur charge et que Longueville avait fait sa soumission, Mazarin, désireux d'obtenir le retour au calme dans le parlement de Normandie, envisageait de supprimer leurs offices !
*
Flanqué de deux tourelles ébranlées, le pont-levis n'avait plus été relevé depuis des années. Bauer s'y engageait quand, à l'intérieur de la porte ogivale, deux hommes tenant mousquet et hallebarde l'interpellèrent.
â Service de Sa Majesté ! lança le Bavarois afin de forcer le passage.
Soit ces fortes paroles impressionnèrent les deux gardes, soit le colosse les effraya, mais ils s'écartèrent devant la monstrueuse jument. Le carrosse suivit.
La cour était emplie de voitures, de chevaux et de chaises à porteurs. Le prévôt et le vicomte recevaient beaucoup de monde, ce qui se révélerait peut-être une complication pour le rencontrer, s'inquiéta Louis.
Sitôt le carrosse arrêté, il descendit. Déjà Bauer avait laissé son cheval à un valet. Les deux hommes approchèrent du perron de la grande salle où retentissaient éclats de voix et douce musique de viole. Devant la porte, quelques couples prenaient l'air, car il faisait effroyablement chaud à l'intérieur. Les hommes, vêtus de noir comme devaient l'être des magistrats ou des officiers, regardèrent ces inconnus avec un mélange de surprise et d'intérêt.
Ãtant son chapeau devant les dames, Louis demanda :
â Messieurs, l'un de vous pourrait-il prévenir monsieur le vicomte que le marquis de Vivonne souhaite lui faire passer quelques mots d'une extrême importance.
â Venez-vous de la Cour, monsieur ? s'enquit le plus âgé.
â Je ne peux parler qu'Ã
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